LES VERROTERIES DU POUVOIR
Un entretien avec Victor Hugo*
sur Nicolas Sarkozy par Georges Marbeck
LES VERROTERIES
DU POUVOIR
Un entretien avec Victor Hugo*
par Georges Marbeck
Visite de Nicolas Sarkozy à Saint-lô en janvier 2009. 12 January 2009.
...Liberté de la presse? je permets que tu parles, mais j’exige que tu te taises.
...Liberté de la presse? je permets que tu parles, mais j’exige que tu te taises.
JANVIER 2011
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Décidément l’histoire de France radote. Voilà que le petit bonapartisme, ce virus politique que l’on croyait éradiqué depuis le désastre de Sedan en septembre 1870, a dramatiquement resurgi à la tête de l’État le 6 mai 2007. Agité nuit et jour de compulsions verbales et d’effets d’annonce, celui qui se veut le boss de la République truffe ses discours de citations que lui souffle son nègre. C’est ainsi qu’en campagne à Toulon il assaisonne sa palabre des deux derniers vers d’un poème de Victor Hugo qui, soit dit en passant, évoque la barbarie des Turcs dévastant l’île grecque de Chio:
“Ami, dit l’enfant grec, dit l’enfant aux yeux bleus,
Je veux de la poudre et des balles.”
Une manière de se rallier le suffrage posthume de l’auteur du Roi s’amuse et des Misérables comme il l’a fait ailleurs avec Jean Jaurès, Jules Ferry, Léon Blum, Guy Môquet et j’en passe… Le comique dans l’affaire, c’est que son souffleur avait omis de lui rappeler que, contrairement à une croyance assez répandue, l’ami Victor Hugo est toujours de ce monde. Vivant et bien vivant sur l’île de Malte cultivant avec bonheur l’art d’être arrière-arrière grand père, il garde un œil impitoyable sur la santé de notre République, lui qui disait: “Ouvrez une école, vous fermerez une prison”. C’est donc tout naturellement que nous sommes allés à sa rencontre en mars, pour qu’il nous livre son diagnostic.
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Georges Marbeck: Cela fera bientôt un an que le nouveau président est en fonction. Je sais que vous vous tenez régulièrement informé de notre actualité politique. Quel regard portez-vous aujourd’hui sur le personnage?
Victor Hugo: Depuis dix mois, il s’étale; il a harangué, triomphé, présidé des banquets, donné des bals, dansé, régné, paradé et fait la roue… Il aime la gloriole, le pompon, l’aigrette, la broderie, les paillettes, les grands mots, les grands titres, ce qui sonne, ce qui brille, toutes les verroteries du pouvoir. Il a réussi. Il en résulte que les apothéoses ne lui manquent pas. Des panégyristes, il en a plus que Trajan. Une chose me frappe pourtant, c’est que dans toutes les qualités qu’on lui reconnaît, dans tous les éloges qu’on lui adresse, il n’y a pas un mot qui sorte de ceci: habilité, sang-froid, audace, adresse, affaire admirablement préparée et conduite, instant bien choisi, secret bien gardé, mesures bien prises. Fausses clés bien faites. Tout est là… Il ne reste pas un moment tranquille; il sent autour de lui avec effroi la solitude et les ténèbres; ceux qui ont peur la nuit chantent, lui il remue. Il fait rage, il touche à tout, il court après les projet; ne pouvant créer, il décrète. Annoncer une énormité dont le monde se récrie, la désavouer avec indignation, jurer ses grands dieux… puis au moment où l’on se rassure et où l’on rit de l’énormité en question, l’exécuter.
Georges Marbeck: Derrière ce remuement perpétuel de l’homme, n’y a-t-il pas une vision du devenir politique de la France, telle qu’on est en droit de l’attendre d’un élu à la magistrature suprême?
Victor Hugo: Non, cet homme ne raisonne pas; il a des besoins, il a des caprices, il faut qu’il les satisfasse. Ce sont des envies de dictateur. La toute-puissance serait fade si on ne l’assaisonnait de cette façon. Quand on mesure l’homme et qu’on le trouve si petit, et qu’ensuite on mesure le succès et qu’on le trouve si énorme, il est impossible que l’esprit n’éprouve quelque surprise. On se demande: comment a-t-il fait? On décompose l’aventure et l’aventurier… On ne trouve au fond de l’homme et de son procédé que deux chose: la ruse et l’argent… Faites des affaires, gobergez-vous, prenez du ventre; il n’est plus question d’être un grand peuple, d’être un puissant peuple, d’être une nation libre, d’être un foyer lumineux; la France n’y voit plus clair. Voilà un succès.
Georges Marbeck: Succès comptable, en somme! Homme d’affaires déguisé en homme d’État.
Victor Hugo: Il a pour lui désormais l’argent, l’agio, la banque, la bourse, le comptoir, le coffre-fort et tous les hommes qui passent si facilement d’un bord à l’autre quand il n’y a à enjamber que la honte… Ces hommes, le malfaiteur et ses complices, ont un pouvoir immense, incomparable, absolu, illimité… Ils s’en servent pour jouir. S’amuser et s’enrichir, tel est leur “socialisme”. Ils ont arrêté le budget sur la grande route; les coffres sont là ouverts; ils emplissent leurs sacoches, ils ont de l’argent en veux-tu en voilà. Tous les traitements sont doublés ou triplés… Quelle misère que cette joie des intérêts et des cupidités… Ma foi, vivons, faisons des affaires, tripotons dans les actions de zinc ou de chemin de fer, gagnons de l’argent; c’est ignoble, mais c’est excellent; un scrupule en moins, un louis de plus; vendons toute notre âme à ce taux! On court, on se rue, on fait antichambre, on boit toute honte… Une foule de dévouements intrépides assiège l’Élysée et se groupe autour de l’homme… C’est un peu un brigand et beaucoup un coquin. On sent toujours en lui le pauvre prince d’industrie. Sa prospérité actuelle, son triomphe et son empire et son gonflement n’y font rien… Le tyran est cet homme qui, sorti de la tradition comme Nicolas de Russie, ou de la ruse comme Louis Bonaparte, s’empare à son profit et dispose à son gré de la force collective d’un peuple.
JANVIER 2011
Décidément l’histoire de France radote. Voilà que le petit bonapartisme, ce virus politique que l’on croyait éradiqué depuis le désastre de Sedan en septembre 1870, a dramatiquement resurgi à la tête de l’État le 6 mai 2007. Agité nuit et jour de compulsions verbales et d’effets d’annonce, celui qui se veut le boss de la République truffe ses discours de citations que lui souffle son nègre. C’est ainsi qu’en campagne à Toulon il assaisonne sa palabre des deux derniers vers d’un poème de Victor Hugo qui, soit dit en passant, évoque la barbarie des Turcs dévastant l’île grecque de Chio:
“Ami, dit l’enfant grec, dit l’enfant aux yeux bleus,
Je veux de la poudre et des balles.”
Une manière de se rallier le suffrage posthume de l’auteur du Roi s’amuse et des Misérables comme il l’a fait ailleurs avec Jean Jaurès, Jules Ferry, Léon Blum, Guy Môquet et j’en passe… Le comique dans l’affaire, c’est que son souffleur avait omis de lui rappeler que, contrairement à une croyance assez répandue, l’ami Victor Hugo est toujours de ce monde. Vivant et bien vivant sur l’île de Malte cultivant avec bonheur l’art d’être arrière-arrière grand père, il garde un œil impitoyable sur la santé de notre République, lui qui disait: “Ouvrez une école, vous fermerez une prison”. C’est donc tout naturellement que nous sommes allés à sa rencontre en mars, pour qu’il nous livre son diagnostic.
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Georges Marbeck: Cela fera bientôt un an que le nouveau président est en fonction. Je sais que vous vous tenez régulièrement informé de notre actualité politique. Quel regard portez-vous aujourd’hui sur le personnage?
Victor Hugo: Depuis dix mois, il s’étale; il a harangué, triomphé, présidé des banquets, donné des bals, dansé, régné, paradé et fait la roue… Il aime la gloriole, le pompon, l’aigrette, la broderie, les paillettes, les grands mots, les grands titres, ce qui sonne, ce qui brille, toutes les verroteries du pouvoir. Il a réussi. Il en résulte que les apothéoses ne lui manquent pas. Des panégyristes, il en a plus que Trajan. Une chose me frappe pourtant, c’est que dans toutes les qualités qu’on lui reconnaît, dans tous les éloges qu’on lui adresse, il n’y a pas un mot qui sorte de ceci: habilité, sang-froid, audace, adresse, affaire admirablement préparée et conduite, instant bien choisi, secret bien gardé, mesures bien prises. Fausses clés bien faites. Tout est là… Il ne reste pas un moment tranquille; il sent autour de lui avec effroi la solitude et les ténèbres; ceux qui ont peur la nuit chantent, lui il remue. Il fait rage, il touche à tout, il court après les projet; ne pouvant créer, il décrète. Annoncer une énormité dont le monde se récrie, la désavouer avec indignation, jurer ses grands dieux… puis au moment où l’on se rassure et où l’on rit de l’énormité en question, l’exécuter.
Georges Marbeck: Derrière ce remuement perpétuel de l’homme, n’y a-t-il pas une vision du devenir politique de la France, telle qu’on est en droit de l’attendre d’un élu à la magistrature suprême?
Victor Hugo: Non, cet homme ne raisonne pas; il a des besoins, il a des caprices, il faut qu’il les satisfasse. Ce sont des envies de dictateur. La toute-puissance serait fade si on ne l’assaisonnait de cette façon. Quand on mesure l’homme et qu’on le trouve si petit, et qu’ensuite on mesure le succès et qu’on le trouve si énorme, il est impossible que l’esprit n’éprouve quelque surprise. On se demande: comment a-t-il fait? On décompose l’aventure et l’aventurier… On ne trouve au fond de l’homme et de son procédé que deux chose: la ruse et l’argent… Faites des affaires, gobergez-vous, prenez du ventre; il n’est plus question d’être un grand peuple, d’être un puissant peuple, d’être une nation libre, d’être un foyer lumineux ; la France n’y voit plus clair. Voilà un succès.
Georges Marbeck: Succès comptable, en somme! Homme d’affaires déguisé en homme d’État.
Victor Hugo: Il a pour lui désormais l’argent, l’agio, la banque, la bourse, le comptoir, le coffre-fort et tous les hommes qui passent si facilement d’un bord à l’autre quand il n’y a à enjamber que la honte… Ces hommes, le malfaiteur et ses complices, ont un pouvoir immense, incomparable, absolu, illimité… Ils s’en servent pour jouir. S’amuser et s’enrichir, tel est leur “socialisme”. Ils ont arrêté le budget sur la grande route; les coffres sont là ouverts; ils emplissent leurs sacoches, ils ont de l’argent en veux-tu en voilà. Tous les traitements sont doublés ou triplés… Quelle misère que cette joie des intérêts et des cupidités… Ma foi, vivons, faisons des affaires, tripotons dans les actions de zinc ou de chemin de fer, gagnons de l’argent; c’est ignoble, mais c’est excellent; un scrupule en moins, un louis de plus; vendons toute notre âme à ce taux! On court, on se rue, on fait antichambre, on boit toute honte… Une foule de dévouements intrépides assiège l’Élysée et se groupe autour de l’homme… C’est un peu un brigand et beaucoup un coquin. On sent toujours en lui le pauvre prince d’industrie. Sa prospérité actuelle, son triomphe et son empire et son gonflement n’y font rien… Le tyran est cet homme qui, sorti de la tradition comme Nicolas de Russie, ou de la ruse comme Louis Bonaparte, s’empare à son profit et dispose à son gré de la force collective d’un peuple.
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C’est un peu un brigand et beaucoup un coquin. On sent toujours en lui le pauvre prince d’industrie.
C’est un peu un brigand et beaucoup un coquin. On sent toujours en lui le pauvre prince d’industrie.
C’est un peu un brigand et beaucoup un coquin. On sent toujours en lui le pauvre prince d’industrie.
Georges Marbeck: Et la liberté de la presse dans tout ça?
Victor Hugo: (pouffant de rire) Et la liberté de la presse! Qu’en dire? N’est-il pas dérisoire seulement de prononcer ce mot? Cette presse libre, honneur de l’esprit français, clarté de tous les points à la fois sur toutes les questions, éveil perpétuel de la nation, où est-elle?... Tout peut se résumer en une ligne: je permets que tu parles, mais j’exige que tu te taises.
Georges Marbeck: Cette confiscation de tous les pouvoirs par un homme supposé providentiel, on a déjà vu, et vous le premier, où cela mène le pays.
Victor Hugo: Les grands penseurs se plaisent à châtier les grands despotes, et quelquefois même les grandissent un peu pour les rendre dignes de leur furie ; mais que voulez-vous que l’historien fasse de ce personnage… Napoléon le petit: rien de plus, rien de moins… Les sceptiques sourient et insistent; ils disent: “N’espérez rien. Ce régime, selon vous, est la honte de la France. Soit, cette honte est cotée en bourse, n’espérez rien. Vous êtes des poètes et des rêveurs si vous espérez. Regardez donc la presse, l’intelligence, la parole, la pensée, tout ce qui était la liberté a disparu. Hier cela remuait, cela s’agitait, cela vivait, aujourd’hui cela est pétrifié. Eh bien, on est content, on s’accommode de cette pétrification, on en tire parti, on y fait des affaires, on vit là dessus comme à l’ordinaire. La société continue et force honnêtes gens trouvent les choses bien ainsi. Pourquoi voulez-vous que cette situation change? Pourquoi voulez-vous que cette situation finisse? Ne vous faites pas illusion, ceci est solide, ceci est stable, ceci est le présent et l’avenir”… En vérité, la situation présente, qui semble calme à qui ne pense pas, est violente, qu’on ne s’y méprenne point. Quand la moralité publique s’éclipse, il se fait dans l’ordre social une ombre qui épouvante.
Le même, trois ans plus tard…
“Il croit avancer et il recule”.
Le 14 Juillet dernier, me trouvant en compagnie d’amis dans le quartier de la Bastille, nous allons nous asseoir à une terrasse au coin de la place des Vosges. Une joyeuse animation règne tout autour de nous. C’est alors que dans mon dos une main se pose sur mon épaule. Je me retourne et là, qui vois-je? Victor Hugo! Tel qu’en lui-même. Passée l’effusion de nos retrouvailles, nous reprenons tout naturellement nos propos de table sur les faits et gestes de Sa Suffisance Nicolas le petit.
Georges Marbeck: Vous disiez à juste raison: “il aime la gloriole, les grands mots, ce qui sonne, ce qui brille”… Le moins que l’on puisse dire aujourd’hui c’est que le brillant de son étoile a singulièrement pâli. Surtout quand on se rappelle la cascade des promesses et effets d’annonce tous azimuts qu’il a déversés sur les médias dès son installation à l’Élysée.
Victor Hugo: Et il disait: “Je veux rasseoir la société sur ses bases, raffermir les institutions démocratiques, et rechercher tous les moyens propres à soulager les maux de ce peuple généreux et intelligent qui vient de me donner un témoignage si éclatant de sa confiance… Les suffrages de la nation et le serment que je viens de prêter commandent ma conduite future. Mon devoir est tracé. Je le remplirai en homme d’honneur”… À l’heure qu’il est, que tous ceux qui portent une robe, une écharpe ou un uniforme, que tous ceux qui servent cet homme le sachent, s’ils se croient les agents d’un pouvoir, qu’ils se détrompent, ils sont les camarades d’un pirate…
Georges Marbeck: Avec son obsession de faire main basse sur tous les pouvoirs et contre-pouvoirs de la République. À commencer par le Parlement.
Victor Hugo: “Le parlementarisme”, c’est-à-dire, la garantie des citoyens, la liberté de discussion, la liberté de la presse, la liberté individuelle, le contrôle de l’impôt, la clarté dans les recettes et dans les dépenses, la serrure de sûreté du coffre-fort public, le droit de savoir ce qu’on fait de votre argent, la solidité du crédit… le contrepoids à l’arbitraire, la dignité de la nation, l’éclat de la France. Effacé, anéanti, disparu, évanoui!
Georges Marbeck: Et lui avec! Quand on voit le plongeon qu’il a fait dans l’opinion, si l’on en croit les sondages…
Victor Hugo: (dans un éclat de rire) Un homme nage contre un courant rapide; il lutte avec des efforts inouïs, il frappe le flot du poing, du front, de l’épaule et du genou. Vous dites: il remontera. Un moment après, vous le regardez, il a descendu. Il est beaucoup plus bas dans le fleuve qu’il n’était au point de départ. Sans le savoir et sans s’en douter, à chaque effort qu’il fait, il perd du terrain. Il s’imagine qu’il remonte, et il descend toujours. Il croit avancer et il recule.
Georges Marbeck: Que de temps perdu! Et quel gâchis!
Victor Hugo: Si les citoyens français veulent savoir la profondeur du “gouvernement” dans lequel ils sont tombés, ils n’ont qu’à s’adresser à eux-mêmes quelques questions…
À cet instant, débouche, tambour en tête au coin de la place, un groupe de jeunes gens coiffés de bonnets phrygiens, chantant à toute force: “Aux armes cito yen!…” Un tonnerre d’acclamations salue leur passage.
Victor Hugo: (radieux) Non, ne nous laissons pas abattre. Désespérer c’est déserter… Il est temps que la conscience humaine se réveille.
Georges Marbeck: Et la liberté de la presse dans tout ça?
Victor Hugo: (pouffant de rire) Et la liberté de la presse! Qu’en dire? N’est-il pas dérisoire seulement de prononcer ce mot? Cette presse libre, honneur de l’esprit français, clarté de tous les points à la fois sur toutes les questions, éveil perpétuel de la nation, où est-elle?... Tout peut se résumer en une ligne: je permets que tu parles, mais j’exige que tu te taises.
Georges Marbeck: Cette confiscation de tous les pouvoirs par un homme supposé providentiel, on a déjà vu, et vous le premier, où cela mène le pays.
Victor Hugo: Les grands penseurs se plaisent à châtier les grands despotes, et quelquefois même les grandissent un peu pour les rendre dignes de leur furie ; mais que voulez-vous que l’historien fasse de ce personnage… Napoléon le petit: rien de plus, rien de moins… Les sceptiques sourient et insistent; ils disent: “N’espérez rien. Ce régime, selon vous, est la honte de la France. Soit, cette honte est cotée en bourse, n’espérez rien. Vous êtes des poètes et des rêveurs si vous espérez. Regardez donc la presse, l’intelligence, la parole, la pensée, tout ce qui était la liberté a disparu. Hier cela remuait, cela s’agitait, cela vivait, aujourd’hui cela est pétrifié. Eh bien, on est content, on s’accommode de cette pétrification, on en tire parti, on y fait des affaires, on vit là dessus comme à l’ordinaire. La société continue et force honnêtes gens trouvent les choses bien ainsi. Pourquoi voulez-vous que cette situation change? Pourquoi voulez-vous que cette situation finisse? Ne vous faites pas illusion, ceci est solide, ceci est stable, ceci est le présent et l’avenir”… En vérité, la situation présente, qui semble calme à qui ne pense pas, est violente, qu’on ne s’y méprenne point. Quand la moralité publique s’éclipse, il se fait dans l’ordre social une ombre qui épouvante.
Le même, trois ans plus tard…
“Il croit avancer et il recule”.
Le 14 Juillet dernier, me trouvant en compagnie d’amis dans le quartier de la Bastille, nous allons nous asseoir à une terrasse au coin de la place des Vosges. Une joyeuse animation règne tout autour de nous. C’est alors que dans mon dos une main se pose sur mon épaule. Je me retourne et là, qui vois-je? Victor Hugo! Tel qu’en lui-même. Passée l’effusion de nos retrouvailles, nous reprenons tout naturellement nos propos de table sur les faits et gestes de Sa Suffisance Nicolas le petit.
Georges Marbeck: Vous disiez à juste raison: “il aime la gloriole, les grands mots, ce qui sonne, ce qui brille”… Le moins que l’on puisse dire aujourd’hui c’est que le brillant de son étoile a singulièrement pâli. Surtout quand on se rappelle la cascade des promesses et effets d’annonce tous azimuts qu’il a déversés sur les médias dès son installation à l’Élysée.
Victor Hugo: Et il disait: “Je veux rasseoir la société sur ses bases, raffermir les institutions démocratiques, et rechercher tous les moyens propres à soulager les maux de ce peuple généreux et intelligent qui vient de me donner un témoignage si éclatant de sa confiance… Les suffrages de la nation et le serment que je viens de prêter commandent ma conduite future. Mon devoir est tracé. Je le remplirai en homme d’honneur”… À l’heure qu’il est, que tous ceux qui portent une robe, une écharpe ou un uniforme, que tous ceux qui servent cet homme le sachent, s’ils se croient les agents d’un pouvoir, qu’ils se détrompent, ils sont les camarades d’un pirate…
Georges Marbeck: Avec son obsession de faire main basse sur tous les pouvoirs et contre-pouvoirs de la République. À commencer par le Parlement.
Victor Hugo: “Le parlementarisme”, c’est-à-dire, la garantie des citoyens, la liberté de discussion, la liberté de la presse, la liberté individuelle, le contrôle de l’impôt, la clarté dans les recettes et dans les dépenses, la serrure de sûreté du coffre-fort public, le droit de savoir ce qu’on fait de votre argent, la solidité du crédit… le contrepoids à l’arbitraire, la dignité de la nation, l’éclat de la France. Effacé, anéanti, disparu, évanoui!
Georges Marbeck: Et lui avec! Quand on voit le plongeon qu’il a fait dans l’opinion, si l’on en croit les sondages…
Victor Hugo: (dans un éclat de rire) Un homme nage contre un courant rapide; il lutte avec des efforts inouïs, il frappe le flot du poing, du front, de l’épaule et du genou. Vous dites: il remontera. Un moment après, vous le regardez, il a descendu. Il est beaucoup plus bas dans le fleuve qu’il n’était au point de départ. Sans le savoir et sans s’en douter, à chaque effort qu’il fait, il perd du terrain. Il s’imagine qu’il remonte, et il descend toujours. Il croit avancer et il recule.
Georges Marbeck: Que de temps perdu! Et quel gâchis!
Victor Hugo: Si les citoyens français veulent savoir la profondeur du “gouvernement” dans lequel ils sont tombés, ils n’ont qu’à s’adresser à eux-mêmes quelques questions…
À cet instant, débouche, tambour en tête au coin de la place, un groupe de jeunes gens coiffés de bonnets phrygiens, chantant à toute force: “Aux armes citoyen!…” Un tonnerre d’acclamations salue leur passage.
Victor Hugo: (radieux) Non, ne nous laissons pas abattre. Désespérer c’est déserter… Il est temps que la conscience humaine se réveille.
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*Les réponses de Victor Hugo sont la reprise, mot pour mot, de passages de Napoléon le Petit, son pamphlet sur Napoléon III, publié en 1853.
Georges Marbeck a collaboré à la revue Recherches avec Michel Foucault et Gilles Deleuze. Il est l’auteur de Hautefaye, l’année terrible (Robert Laffont). Il a aussi publié L’Orgie, voie du sacré, fait du prince, instinct de fête, ouvrage de référence.
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LOUISE MICHEL “Vive la république sociale!”
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SIMONE WEIL “Une docilité de bête de somme”
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