Starhawk
Starhawk
© Nobukho Nqaba, de la série Umaskhenkethe likhaya lam, 2012.
Le savoir-vivre est là pour nous aider dans les situations délicates, inconfortables ou douloureuses.
J’ai récemment publié un texte de soutien au mouvement #Black Lives Matter sur les réseaux sociaux qui a suscité beaucoup de réactions, la plupart positives, certaines dérangeantes. Beaucoup de ces réactions exprimaient l’angoisse, la confusion, les sentiments de doute que sont nombreux à éprouver, ces temps-ci, ceux qui ont le privilège d’avoir la peau blanche. J’entends des choses comme “J’ai honte d’être blanc”, “Que puis-je faire?”, “Comment parler à mes amis noirs?” Mais aussi des réactions comme “Toutes les vies comptent, les blanches aussi” ou “Pourquoi créer des divisions?”
J’aimerais encourager tous ceux qui ne sont pas membres d’une communauté prise pour cible à s’appuyer sur une chose dont les Blancs sont censés être l’exemple: le savoir-vivre.
Imaginez que l’un de vos amis vienne de subir une perte affreuse – peut-être son enfant a-t-il été assassiné.
Lui diriez-vous: “Tout le monde doit affronter le deuil?”
Ou: “Dis-moi comment tu veux que je m’habille pour les funérailles, ce que je dois dire dans le discours et quoi apporter à manger?”
Ou: “Je sais exactement ce que tu ressens, mon chat vient de mourir et je suis tellement malheureux que je n’arrive pas à travailler. Comment peux-tu ne pas comprendre que je souffre moi aussi?”
Ou: “Je me sens si honteux et coupable d’avoir une belle vie, peux-tu s’il te plaît dire à tout le monde combien je suis bon et soulager un peu ma culpabilité?”
Ou: “Mon pauvre, ta vie est vraiment horrible et ce traumatisme va te démolir.”
Ou: “Pour moi, il n’y a ni mort ni deuil, juste des individus.”
Vous ne diriez jamais ce genre de choses, parce que vous êtes quelqu’un de bien et de sensible, j’en suis sûre. Alors pourquoi des gens bien et sensibles disent-ils ce genre de choses à leurs amis noirs, ou les publient-ils en guise de réponse à la communauté dans son ensemble?
Mais toutes les vies ne comptent-elles pas?!?!
Prenons un exemple, la réponse “Toutes les vies comptent” par opposition à “Les vies noires comptent.”
Tout ce que nous disons implique à la fois un texte – les mots réels – et un sous-texte – toutes les nuances de ton, le contexte, et le cadre dans lequel nous percevons une affirmation. L’expression “Les vies noires comptent” est le texte. Tels sont les mots. Le sous-texte exprimé par la communauté noire, c’est: “Alors qu’en ce moment, les Noirs se font régulièrement abattre par des flics, nous affirmons la valeur de nos vies! Nous sommes des êtres humains et méritons d’être traités comme tels. Nos vies sont précieuses.”
Les Blancs qui répondent “Toutes les vies comptent” entendent un autre sous-texte – peut-être “Il n’y a que les vies noires qui comptent” ou “Ma vie n’a pas d’importance si je ne suis pas noir.”
Vraiment? La valeur de la vie humaine est-elle un jeu à somme nulle, où dès que la vie de l’autre est valorisée, la nôtre s’en trouve dévaluée? Doutons-nous à ce point de nous-mêmes et de notre droit à exister, que nous devions le réaffirmer à chaque instant, lors de la moindre interaction?
J’ai récemment publié un texte de soutien au mouvement #Black Lives Matter sur les réseaux sociaux qui a suscité beaucoup de réactions, la plupart positives, certaines dérangeantes. Beaucoup de ces réactions exprimaient l’angoisse, la confusion, les sentiments de doute que sont nombreux à éprouver, ces temps-ci, ceux qui ont le privilège d’avoir la peau blanche. J’entends des choses comme “J’ai honte d’être blanc”, “Que puis-je faire?”, “Comment parler à mes amis noirs?” Mais aussi des réactions comme “Toutes les vies comptent, les blanches aussi” ou “Pourquoi créer des divisions?”
J’aimerais encourager tous ceux qui ne sont pas membres d’une communauté prise pour cible à s’appuyer sur une chose dont les Blancs sont censés être l’exemple: le savoir-vivre.
Imaginez que l’un de vos amis vienne de subir une perte affreuse – peut-être son enfant a-t-il été assassiné.
Lui diriez-vous: “Tout le monde doit affronter le deuil?”
Ou: “Dis-moi comment tu veux que je m’habille pour les funérailles, ce que je dois dire dans le discours et quoi apporter à manger?”
Ou: “Je sais exactement ce que tu ressens, mon chat vient de mourir et je suis tellement malheureux que je n’arrive pas à travailler. Comment peux-tu ne pas comprendre que je souffre moi aussi?”
Ou: “Je me sens si honteux et coupable d’avoir une belle vie, peux-tu s’il te plaît dire à tout le monde combien je suis bon et soulager un peu ma culpabilité?”
Ou: “Mon pauvre, ta vie est vraiment horrible et ce traumatisme va te démolir.”
Ou: “Pour moi, il n’y a ni mort ni deuil, juste des individus.”
Vous ne diriez jamais ce genre de choses, parce que vous êtes quelqu’un de bien et de sensible, j’en suis sûre. Alors pourquoi des gens bien et sensibles disent-ils ce genre de choses à leurs amis noirs, ou les publient-ils en guise de réponse à la communauté dans son ensemble?
Mais toutes les vies ne comptent-elles pas?!?!
Prenons un exemple, la réponse “Toutes les vies comptent” par opposition à “Les vies noires comptent.”
Tout ce que nous disons implique à la fois un texte – les mots réels – et un sous-texte – toutes les nuances de ton, le contexte, et le cadre dans lequel nous percevons une affirmation. L’expression “Les vies noires comptent” est le texte. Tels sont les mots. Le sous-texte exprimé par la communauté noire, c’est: “Alors qu’en ce moment, les Noirs se font régulièrement abattre par des flics, nous affirmons la valeur de nos vies! Nous sommes des êtres humains et méritons d’être traités comme tels. Nos vies sont précieuses.”
Les Blancs qui répondent “Toutes les vies comptent” entendent un autre sous-texte – peut-être “Il n’y a que les vies noires qui comptent” ou “Ma vie n’a pas d’importance si je ne suis pas noir.”
Vraiment? La valeur de la vie humaine est-elle un jeu à somme nulle, où dès que la vie de l’autre est valorisée, la nôtre s’en trouve dévaluée? Doutons-nous à ce point de nous-mêmes et de notre droit à exister, que nous devions le réaffirmer à chaque instant, lors de la moindre interaction?
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La valeur de la vie humaine est-elle un jeu à somme nulle, où dès que la vie de l’autre est valorisée, la nôtre s’en trouve dévaluée?
La valeur de la vie humaine est-elle un jeu à somme nulle, où dès que la vie de l’autre est valorisée, la nôtre s’en trouve dévaluée?
“Sauvez les baleines” ne veut pas dire
“Détruisez toutes les autres espèces”.
Comme l’a très bien dit quelqu’un sur les réseaux sociaux, quand nous disons “Sauvez les baleines”, cela ne signifie pas “Détruisez toutes les autres espèces”. Cela signifie qu’un danger particulier et immédiat menace les baleines.
Alors, quand quelqu’un répond “Toutes les vies comptent”, ou “La couleur n’a pas d’importance”, ou même “Ne pouvons-nous pas rester unis?”, le sous-texte est en réalité: “Je refuse de voir les menaces réelles auxquelles votre communauté est confrontée. Je n’ai aucune envie d’entendre votre douleur ni d’admettre votre réalité.”
Ce n’est peut-être pas ce que vous avez l’intention de dire, mais c’est ce que les autres entendent, et ce message exacerbe la douleur ressentie par les hommes et les femmes de la communauté noire. Il renforce le message plus brutal des balles et des coups de bottes: “Les vies noires n’ont pas d’importance.”
Le savoir-vivre suppose de ne pas prononcer délibérément de paroles dont les autres nous préviennent qu’elles vont leur faire du mal.
Ces dernières semaines, nous avons vu un homme noir ligoté et menotté, assassiné de sang-froid, en plein jour, au milieu des passants, par un policier à genoux sur son cou pendant neuf minutes, le soumettant à une humiliation brutale, à la torture et pour finir, à la mort.
Cela fait suite à l’exécution d’une jeune femme noire, abattue par des policiers dans sa propre maison, à la traque et à l’assassinat d’un jogger noir par des justiciers blancs, aux accusations racistes proférées à l’encontre d’un promeneur noir par une promeneuse de chien à Central Park – et ce ne sont là que les exemples retenus par l’actualité. Ce n’est là qu’un petit échantillon des attaques les plus récentes, parmi des centaines d’autres du même genre.
Ces attaques se produisent alors qu’en toile de fond, une pandémie tue de manière disproportionnée des personnes de couleur.
Ne pouvons-nous comprendre le deuil profond que traverse la communauté noire? Bien sûr, tous ceux qui ont une goutte de compassion dans leurs veines le ressentent, mais nous n’éprouvons pas tous la peur viscérale qui accompagne le fait d’être une cible; le chagrin immédiat, aigu, semblable à la perte d’un membre de sa famille. Le deuil comprend de nombreux sentiments: le chagrin, la peur, l’impuissance, l’épuisement et la rage, pour n’en nommer que quelques-uns.
Alors, qu’allez-vous dire à vos amis noirs? Pourquoi pas: “Je pense à toi. Tu comptes pour moi. Ta vie est précieuse pour moi et pour le reste du monde. Tu es un être humain précieux et unique, et je ferai tout mon possible pour rendre ce monde sûr et juste.”
Et si vous n’avez pas d’amis noirs? Beaucoup de Blancs n’en ont pas – pas nécessairement en raison de leurs préjugés, mais à cause des nombreuses constructions invisibles qui nous séparent.
Arrêtons-nous un instant pour reconnaître ce manque – les amitiés, la créativité, le plaisir que vous manquez. Puis demandons-nous: “Qu’est-ce qui devrait changer pour que mon cercle d’amis soit plus diversifié? Que puis-je faire pour y parvenir?”
Le savoir-vivre est là pour nous aider dans les situations délicates, inconfortables ou douloureuses. Difficile d’imaginer un moment où il soit plus nécessaire.
Mettez votre savoir-vivre en œuvre.
Œuvrez pour la justice.
Alors nous créerons un monde où il y aura moins de douleur, plus de joie, plus de liens authentiques, plus de sécurité, de liberté et de justice pour tous. ■
Traduit par Isabelle Sorente.
Comme l’a très bien dit quelqu’un sur les réseaux sociaux, quand nous disons “Sauvez les baleines”, cela ne signifie pas “Détruisez toutes les autres espèces”. Cela signifie qu’un danger particulier et immédiat menace les baleines.
Alors, quand quelqu’un répond “Toutes les vies comptent”, ou “La couleur n’a pas d’importance”, ou même “Ne pouvons-nous pas rester unis?”, le sous-texte est en réalité: “Je refuse de voir les menaces réelles auxquelles votre communauté est confrontée. Je n’ai aucune envie d’entendre votre douleur ni d’admettre votre réalité.” Ce n’est peut-être pas ce que vous avez l’intention de dire, mais c’est ce que les autres entendent, et ce message exacerbe la douleur ressentie par les hommes et les femmes de la communauté noire.
Il renforce le message plus brutal des balles et des coups de bottes: “Les vies noires n’ont pas d’importance.” Le savoir-vivre suppose de ne pas prononcer délibérément de paroles dont les autres nous préviennent qu’elles vont leur faire du mal.
Ces dernières semaines, nous avons vu un homme noir ligoté et menotté, assassiné de sang-froid, en plein jour, au milieu des passants, par un policier à genoux sur son cou pendant neuf minutes, le soumettant à une humiliation brutale, à la torture et pour finir, à la mort.
Cela fait suite à l’exécution d’une jeune femme noire, abattue par des policiers dans sa propre maison, à la traque et à l’assassinat d’un jogger noir par des justiciers blancs, aux accusations racistes proférées à l’encontre d’un promeneur noir par une promeneuse de chien à Central Park – et ce ne sont là que les exemples retenus par l’actualité. Ce n’est là qu’un petit échantillon des attaques les plus récentes, parmi des centaines d’autres du même genre.
Ces attaques se produisent alors qu’en toile de fond, une pandémie tue de manière disproportionnée des personnes de couleur.
Ne pouvons-nous comprendre le deuil profond que traverse la communauté noire? Bien sûr, tous ceux qui ont une goutte de compassion dans leurs veines le ressentent, mais nous n’éprouvons pas tous la peur viscérale qui accompagne le fait d’être une cible; le chagrin immédiat, aigu, semblable à la perte d’un membre de sa famille. Le deuil comprend de nombreux sentiments: le chagrin, la peur, l’impuissance, l’épuisement et la rage, pour n’en nommer que quelques-uns.
Alors, qu’allez-vous dire à vos amis noirs? Pourquoi pas: “Je pense à toi. Tu comptes pour moi. Ta vie est précieuse pour moi et pour le reste du monde. Tu es un être humain précieux et unique, et je ferai tout mon possible pour rendre ce monde sûr et juste.”
Et si vous n’avez pas d’amis noirs? Beaucoup de Blancs n’en ont pas – pas nécessairement en raison de leurs préjugés, mais à cause des nombreuses constructions invisibles qui nous séparent.
Arrêtons-nous un instant pour reconnaître ce manque – les amitiés, la créativité, le plaisir que vous manquez. Puis demandons-nous: “Qu’est-ce qui devrait changer pour que mon cercle d’amis soit plus diversifié? Que puis-je faire pour y parvenir?”
Le savoir-vivre est là pour nous aider dans les situations délicates, inconfortables ou douloureuses. Difficile d’imaginer un moment où il soit plus nécessaire.
Mettez votre savoir-vivre en œuvre.
Œuvrez pour la justice.
Alors nous créerons un monde où il y aura moins de douleur, plus de joie, plus de liens authentiques, plus de sécurité, de liberté et de justice pour tous. ■
Traduit par Isabelle Sorente.
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Starhawk.
Activiste et figure du mouvement altermondialiste, écrivaine, philosophe et sorcière, Starhawk est aujourd’hui reconnue comme une théoricienne de premier plan de l’écoféminisme. Elle a notamment publié Rêver l’obscur, femmes, magie et politique et Chroniques altermondialistes, tisser la toile du soulèvement global, tous deux parus aux éditions Cambourakis.