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MOINS D’ESPÈCES,

PLUS DE VIRUS

Frédéric Joignot, Patrick Deval

Badwater, Death Valley (Explored) - Flickr - Mike McBey.

MOURIR DE CHAUD.

MODE D’EMPLOI.

QUELS EFFETS DE LA CHALEUR

SUR LE CORPS HUMAIN?

Ainsi, les activités non soutenables de nos frères humains ont amorcé une extinction animale de masse qui devrait sceller définitivement le sort de l’humanité.

Samedi 15 juillet, le thermomètre voit rouge, la vigilance est orange dans toute l’Europe. L’Espagne, l’Italie, la France, l’Allemagne, la Grèce et la Pologne affrontent des températures extrêmes. Des chaleurs de 48°C sont attendues en Sicile en Sardaigne, “les valeurs les plus chaudes jamais enregistrées sur le continent”, d’après l’Agence spatiale européenne. L’Acropole d’Athènes a été fermée vendredi 14 juillet aux heures les plus chaudes – la déesse Athéna elle-même ne protégeait plus les visiteurs…

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“Quand un vieillard meurt, c’est une bibliothèque qui brûle”, disait Amadou Hampâté Bâ, le sage venu d’Afrique. Sommes-nous tous en passe d’être atteints de la maladie d’Alzheimer, amnésiques, notre mémoire perdue, oublieux, stupéfaits, échoués au bord de la vie? Le pin Wollemi est une espèce de conifère de la famille des Araucaria datant d’au moins 110 millions d’années. Connu uniquement par ses fossiles, on le croyait disparu depuis la fin du Crétacé il y a 65 millions d’années, jusqu’à ce qu’une espèce australienne vivace, le Wollemia nobilis ait été découverte dans une gorge perdue du Nord des Montagnes Bleues de l’Est australien par un botaniste aventureux, David Noble en 1994.

On ne trouve le pin Wollemi que dans quatre petites vallées encaissées au nombre de 250 individus poussant dans un rayon de trois kilomètres. C’est dire sa rareté. Cet arbre, vestige du Crétacé, qui a survécu des millions d’années bien caché, vient d’être frôlé par les récents incendies géants qui ont touché l’Australie et l’ont menacé d’extinction. L’existence de ces arbres prouve qu’ils ont pu survivre à des feux et des sécheresses au cours de leur histoire beaucoup plus longue que la nôtre. Les pins Wollemi qui poussent là ont peut-être mille ans d’âge, leur tronc noirci et carbonisé en atteste. Les bushfires sont surtout un problème pour les jeunes pousses qui n’ont pas encore l’écorce épaisse qui pourrait les protéger. Cet arbre nous envoie un autre message de l’impact humain durablement destructeur sur notre planète.

 

La communauté scientifique estime que la Terre connaît une nouvelle extinction de masse marquée par la disparition d’espèces de la faune et la flore à un rythme accéléré, principalement due à l’activité humaine. C’est la sixième. Depuis 500 millions d’années, la planète a vécu cinq précédents épisodes au cours desquels au moins la moitié des créatures vivantes ont été éradiquées en un clin d’œil au regard de l’histoire géologique. Au total, plus de 90% des organismes qui ont un jour poussé, marché, nagé, volé ou rampé ont aujourd’hui disparu. 

La première est celle du Dévonien il y a environ 360 à 375 millions d’années qui fit disparaitre jusqu’à 75% des espèces. En cause probablement l’épuisement de l’oxygène dans les océans. Les organismes marins ont été les plus touchés. La fluctuation du niveau des océans, le changement du climat ou l’impact d’un astéroïde sont suspectés d’en être responsables. Quelques rares poches de vie, fossiles vivants, incarnent et attestent de ces mondes disparus. Présent dans les fossiles du Dévonien au Crétacé (395 millions à 66 millions d’années auparavant), le coelacanthe, poisson pourvu d’os à nageoires charnues et d’un vestige de poumon ancestral a trouvé refuge dans les fosses marines du canal de Mozambique avant d’être découvert et pêché pour la première fois en 1938 au large de Madagascar. Menacé d’extinction, on estime leur nombre à 300 individus.

 

Notre planète a connu un deuxième événement d’extinction de masse à la fin du Guadalupien, ou Permien moyen, commencé il y a environ 272 millions d’années pour s’achever il y a quelque 260 millions d’années. La crise biologique advenue sur terre identifiée par les chercheurs coïncide avec l’éruption basaltique massive qui s’est alors produite dans la province d’Emeishan au Sud-Est de la Chine. Ces éruptions colossales libèrent de grandes quantités de gaz à effet de serre, en particulier du dioxyde de carbone et du méthane, qui provoquent un réchauffement climatique grave, avec des océans chauds et pauvres en oxygène qui inhibent la vie marine.

La troisième extinction s’est produite à la fin du Permien, il y a environ 252 millions d’années. 95% des espèces vivantes disparurent alors. En cause probablement les impacts d’astéroïdes et l’activité volcanique. Parfois qualifiée de “mère de toutes les extinctions”, cette crise biologique de grande ampleur a dévasté les océans et les terres. Elle est la seule à avoir également pratiquement vu la disparition des insectes. Certains scientifiques estiment qu’elle s’est produite sur une période de millions d’années, d’autres seulement sur 200.000 ans.

En Italie, les antiques Rome et Florence, ont été placées en alerte canicule. A Lodi, un ouvrier de 44 ans qui travaillait sous une chaleur de 40°C a perdu connaissance puis est décédé. Avis aux employés qui, en France, officient dans les zones chaudes: selon l’Institut National de Recherche et de Sécurité (INRS), travailler au dessus de 33° présente des dangers physiologiques… Ils peuvent exercer leur “droit de retrait”.

 

En Espagne, il a fait 45°C en Andalousie, les autorités ont déclaré 13 des 17 régions du pays en “risque élevé” ou “extrême” – une expression banale aujourd’hui. Selon l’observatoire européen Copernicus, la température du sol a dépassé les 60°C en Estrémadure – un record absolu… mortel. Pendant ce temps, en mer, les températures de surface vont être “extrêmement hautes dans les prochains jours et semaines”, parfois à plus de 30°C, soit 4°C au-dessus des moyennes. Ces canicules marines (présentes aussi en Atlantique), agressent toutes les espèces, menacent leur survie, dérangent leurs migrations (et la pèche), affectent les praires d’algues protégeant les jeunes poissons, détruisent les coraux, etc. En juin 2021, déjà, un rapport du World Wild Fund (WWF) alertait sur “le désastre” de la “tropicalisation” en cours en Méditerranée.

 

En France, selon Météo France, dix départements du Centre-Est, la Haute-Saône, le Doubs, la Côte-d’Or, le Jura, la Saône-et-Loire, l’Ain, le Rhône, la Loire, la Haute-Loire et le Puy-de-Dôme sont placés en vigilance orange pour des risques d’orages violents… et les Alpes-Maritimes pour canicule… Canicule? D’où vient l’expression? Ont-elles toujours existé? Quels risques font-elles courir aux humains comme aux animaux? 

  

Les canicules ne datent pas d’aujourd’hui, surtout dans le bassin méditerranéen, où les romains les attribuaient à des cycles planétaires. “Canicule, comme nous le rappelle l’ethno-cinéaste, Patrick Deval, vient du latin ‘canicula’, diminutif de ‘canis’ (chien), ‘petite chienne’. Et Canicula est aussi le nom que des astronomes de l’Antiquité ont donné à une étoile appartenant à la constellation d’Orion, le ‘Grand Chien’, connue sous le nom de l’étoile Sirius, le nom du chien d’Orion – un célèbre chasseur de la mythologie grecque qui donna son patronyme à la plus grande constellation du ciel située sur l’équateur céleste. Or Sirius vient du grec seirius, signifiant ‘brûlant’, ‘ardent’, car il est l’astre le plus brillant du ciel après le Soleil, qui du 24 juillet au 24 août se lève en même temps que lui.” Ces assocations planétaires laissaient penser aux Anciens qu’il existait un lien entre l’apparition de Sirius et les grandes chaleurs….

“Des pandémies se reproduiront si la logique des interactions actuelles entre les populations humaines et la biodiversité n’est pas fondamentale-ment remise en cause.”

Sachant les éléments précédents, peut-on défendre l’idée que la pandémie actuelle aurait pu être mieux anticipée? La réponse est probablement positive. En effet, des travaux scientifiques montrent une relation directe entre les menaces qui pèsent sur la biodiversité et la multiplication des zoonoses. Les épidémies associées aux virus Marburg, Ebola, ou Hendra, le SRAS ou encore la pandémie dite “grippe A” (H1N1) ont constitué des alertes majeures. Plus spécifiquement, dans un article de synthèse paru en 2007, soit treize ans avant la pandémie actuelle, une équipe chinoise indiquait que la présence chez les microchiroptères locaux du genre Rhinolophus d’un vaste réservoir de virus potentiellement responsables chez les humains d’affections respiratoires aiguës, constituait un danger majeur compte tenu de la consommation de viande de mammifères sauvages exotiques en Chine du Sud.

Dans le même temps, comme on l’a vu, la communauté scientifique a souligné, et cela depuis plusieurs dizaines d’années, l’importance de l’érosion de la biodiversité et alerté sur l’accélération récente de ce phénomène, concomitant avec l’augmentation des zoonoses. Une plus grande attention aux faits scientifiques, notamment ceux établis aux interfaces entre sciences de la santé et sciences de la biodiversité, ainsi que des mesures effectives de réduction de la dégradation de la biodiversité, y compris l’arrêt effectif du commerce et de la consommation d’animaux sauvages – protégés ou non – auraient probablement pu réduire les risques d’apparition d’une pandémie telle que celle à laquelle l’humanité est aujourd’hui confrontée.

Des pandémies analogues se reproduiront si la logique des interactions actuelles entre les populations humaines et la biodiversité n’est pas fondamentalement remise en cause. Comme l’a souligné l’Ipbes en 2019, ces interactions dépendent de manière ultime de nos valeurs, lesquelles, en ce qui concerne la biodiversité, sont multiples et font l’objet de nombreux débat en éthique environnementale. Mais, même du point de vue le plus pragmatique et anthropocentré, si on veut que l’humanité continue à tirer avantage des services écosystémiques qu’elle retire de la biodiversité notamment pour couvrir ses besoins alimentaires, comme le montrent les travaux des modélisateurs, et ralentir l’apparition des zoonoses, il est essentiel de protéger activement ce qui reste de biodiversité sauvage.

Cela exige l’augmentation de la surface d’espaces protégés et, dans le même temps, la réduction rapide et drastique des pressions sur la biodiversité hors de ces espaces, y compris dans les milieux agricoles et urbains. Ceci revient à combiner land sparing (mise en protection de certains espaces) et land sharing (coexistence avec la biodiversité présente en dehors des espaces protégés). Plus spécifiquement, la destruction des écosystèmes et donc des habitats de la vie sauvage résiduelle doit être impérativement stoppée. Les politiques de préservation de la biodiversité et des services qu’on en tire pour notre alimentation et notre santé doivent intégrer sa dimension intrinsèquement évolutive, au sens darwinien du terme.

 

Au-delà de ces enjeux immédiats pour la sécurité et le bien-être humains, notre capacité à respecter la biodiversité non humaine et la poursuite de son évolution contribue à définir notre humanité. La préservation des espaces où la biodiversité non humaine pourra évoluer est la condition première à sa protection. Ceci nécessite de développer une politique ambitieuse de création et de renforcement des aires protégées tant terrestres que marines, en prenant en compte l’incidence attendue du changement climatique sur la distribution des espèces et des biomes. Une partie significative de ces aires doit être dotée de statuts de protection forte, qui les soustraient aux pressions anthropiques, où les humains sont des visiteurs discrets, et leurs activités fortement régulées, de manière à en maximiser l’efficacité en matière de protection et aussi à limiterles interactions entre les humains et la faune sauvage. Cette politique n’aura cependant de sens que si elle prend en compte les droits et le bien-être des populations locales concernées et est assortie de mesures d’accompagnement innovantes au bénéfice de ces populations.

Protéger la biodiversité sauvage permet aussi un bon fonctionnement des processus de régulation naturelle. Par exemple, les prédateurs contribuent à réguler les populations de rongeurs qui sont souvent des hôtes de virus ou bactéries pathogènes pour l’homme, transmissibles notamment via les tiques et peuvent par conséquent limiter la diffusion de maladies. La préservation des oiseaux charognards permet aussi d’assurer l’élimination des carcasses d’animaux morts et d’éviter ainsi l’émergence de maladies. Comme l’a souligné la Fondation pour la recherche sur la biodiversité, réduire les pressions anthropiques sur l’environnement est un objectif qui peut être décliné à court terme sans attendre nécessairement que les impacts précis de ces facteurs sur différents composants de la biodiversité ne soient complètement élucidés. Le concept d’empreinte écologique constitue un levier décisif pour mettre en place une politique ambitieuse de réduction des pressions que l’homme exerce sur la biodiversité. Plus largement, ce sont donc nos options de développement et les politiques socio-économiques et environnementales afférentes qu’il faut reconcevoir. Les transitions écologiques doivent concerner tous les secteurs économiques et industriels, mais également les valeurs à l’origine de nos modes de gouvernance et de consommation (...)

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“L’homme de Néandertal, qui vivait sur Terre depuis 200.000 ans, disparaît vers -30.000 au contact d’Homo sapiens. Jared Diamond pense à un génocide.”

“L’homme de Néandertal, qui vivait sur Terre depuis 200.000 ans, disparaît vers -30.000 au contact d’Homo sapiens. Jared Diamond pense à un génocide.”

La quatrième extinction est celle du Trias il y a environ 200 millions d’années où disparurent 70 à 80% des espèces Les causes multiples sont toujours en débat. Une théorie évoque des éruptions massives de laves lors du morcèlement de la Pangée, dernier supercontinent, éruptions accompagnées de volumes énormes de dioxyde de carbone ayant provoqué un réchauffement climatique galopant. D’autres scientifiques suspectent des astéroïdes, mais aucun cratère n’a pour l’instant été identifié.

 

La cinquième extinction, celle du Crétacé il y a environ 66 millions d’années donna lieu à la disparition de 75% des espèces. La découverte d’un immense cratère dans ce qui est aujourd’hui la mer Caraïbe au large de la péninsule mexicaine du Yucatan corrobore l’hypothèse que l’impact d’un astéroïde est responsable de cette crise ayant vu la disparition des dinosaures non aviaires comme les T-Rex et les tricératops. Mais la plupart des mammifères, des tortues, des crocodiles, des grenouilles et des oiseaux ont survécu, tout comme la vie marine, dont les requins, les étoiles de mer et les oursins. En l’absence des dinosaures, les mammifères ont proliféré, conduisant à la naissance du redoutable Homo sapiens... 

 

... L’espèce responsable de la sixième extinction en cours. Un rapport de l’ONU de 2019 sur lequel travaillent 150 experts de 50 pays depuis 3 ans alerte sur les diverses “preuves indépendantes qui signalent une accélération rapide imminente du taux d’extinction des espèces”. Sur les 8 millions d’espèces estimées (dont 5,5 millions d’espèces d’insectes), “un demi-million à un million d’espèces seraient menacées d’extinction, dont beaucoup dans les prochaines décennies.” Des projections correspondant aux mises en garde des scientifiques estiment que la Terre endure la première extinction attribuée à l’Homme, causant la disparition d’au moins 680 espèces de vertébrés depuis 500 ans. 

D’après le géographe et historien de l’environnement Jared Diamond, Homo sapiens a exterminé 80% des grandes espèces qui cohabitaient avec lui quand il a conquis la Terre. Cela a commencé dés l’âge de pierre, écrit-il dans Le Troisième chimpanzé (Gallimard, Folio 2011): “Quand, les hommes franchissent le détroit de Béring, 12.000 ans avant J.C., et gagnent l’Amérique du Nord, ils se livrent à un carnage inouï. En quelques siècles, ils exterminent les tigres à dents de sabre, les lions, les élans-stags, les ours géants, les bœufs musqués, les mammouths, les mastodontes, les paresseux géants, les glyptodontes (des tatous d’une tonne), les castors colossaux, les chameaux, les grands chevaux, d’immenses troupeaux de bisons.” 73% des grands mammifères d’Amérique du Nord, 85% d’Amérique du Sud disparaissent. Et à l’échelle du monde entier, 80% des espèces de plus d’une tonne périssent.

 

Tuer en série, de façon concertée, les loups et les grands singes le font aussi. Mais l’homme massacre dans des proportions inégalées. Pourquoi? Homo sapiens a-t-il développé l’agressivité naturelle des primates, doublé d’un “comportement de chasseur” comme pense l’éthologue Konrad Lorenz? Jared Diamond ne tranche pas (philosophiquement, politiquement), il constate: selon lui, de ‒100.000 à ‒50.000 ans, nos ancêtres furent autant des prédateurs que des proies. Mais ensuite, il observe avec beaucoup de paléoanthropologues “un grand bond en avant de l’humanité”, sans doute à l’apparition d’un langage articulé. Un homme pleinement moderne apparaît, l’homme de Cro-Magnon en Europe, qui construit son habitat, maîtrise le feu, perfectionne ses outils, s’équipe d’armes mortelles (propulseurs, lances aiguisées, pièges, poison, etc.) et conquiert la Terre entière.

À son contact, l’homme de Néandertal, la seconde humanité évoluée, disparaît dans le Nord européen vers moins 30.000 ans, lui qui vivait sur Terre depuis 200.000 ans, enterrait ses morts et taillait la pierre. Les spécialistes polémiquent sur cette disparition. Mais beaucoup, comme Jared Diamond, pensent à une compétition violente s’achevant par un génocide. Il la déduit, comme à son habitude, par comparaison, montrant qu’à toutes les époques, souvent pour des questions de territoire, mais aussi ethniques (racistes) et psychologiques (désignation d’un bouc émissaire, infériorisation de l’autre), l’homme a cherché à anéantir ses rivaux et les minorités. De fait, des dizaines de génocides, combinant traques, massacres, épidémies, à plus ou moins grande échelle, ont eu lieu de tout temps, partout.

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“Déforestation, élevage industriel, réduction des habitats naturels et maladies émergentes pandémiques sont liés.”

“Déforestation, élevage industriel, réduction des habitats naturels et maladies émergentes pandémiques sont liés.”

Et puis, accompagnant les génocides, constate Jared Diamond, les écocides. Et la sixième extinction animale. Des études récentes estiment que le taux d’extinction des vertébrés aujourd’hui, même sous des conditions stables, est 100 fois supérieur à celui de leur taux d’extinction naturel. Malheureusement, la perte de biodiversité ne cesse de s'accélérer avec la déforestation, la désertification, l’urbanisation galopante, la pêche et l’élevage industriels et le réchauffement anthropique comme le montrent depuis 15 ans les rapports successifs du GIEC et de la FAO (organisation de l’ONU pour l’alimentation). Résultat: l’extinction actuelle est comparable à une crise biologique et éco-systémique majeure puisque d’ici à 2050, on considère que 25 à 50% des espèces auront disparu, y compris dans les océans des espèces sans lesquelles de vastes pans de la population humaine ne pourront plus se nourrir. 

Cette dégradation des écosystèmes et des derniers habitats naturels, qui voient leurs niches écologiques s’effondrer et leurs espèces se disperser, s’accompagne d’une multiplication des virus capables d’affecter les humains comme on l’a constaté avec effroi avec la pandémie du coronavirus – très probablement initiée par des animaux de boucherie vendus à Wuhan (pangolins infestés par des chauve-souris). Ainsi, dès février 2018, un rapport de l’OMS sur “les maladies prioritaires” nous mettait en garde sur la potentielle transmission de pathogènes depuis un animal ou “zoonose”, comme on l’a vu pendant l’épidémie de VIH (transmis par des grands singes, 36 millions de morts), l’Ebola (transmis par des chauve-souris et la viande de brousse, 12/000 morts) et le coronavirus du syndrome respiratoire MERS (800 morts) – auquel l’actuel Covid 19 est apparenté... L’OMS nous alertait encore sur l’explosion mondiale d’une possible “maladie X”, une pandémie mondiale incontrôlable, dont nous ignorerons le scénario de contamination, sans précédent historique, face à laquelle il faudra réagir vite sous peine d’une catastrophe sanitaire globale... 

 

L’angoissante expression “maladie X” avait été inventée à l’époque par un groupe d’experts de l’OMS parmi lesquels l’américain Peter Daszak, un écologiste des maladies, qui a signé le 27 février 2020 dans le New York Times, en pleine pandémie du Covid 19, une tribune intitulée dramatiquement: “Nous savions que la maladie X arrivait. C’est ici et maintenant.” Daszak retrace dans cet article la réflexion qui a mené l’OMS à imaginer en 2008 qu’une épidémie locale inconnue, transmise par des animaux, pouvait se transformer en pandémie: “La maladie X, disions-nous à l’époque, résulterait probablement d’un virus d’origine animale et émergerait quelque part sur la planète où le développement économique rapproche les humains et la faune.” Cette maladie X “est le Covid 19” conclut-il. 

La moitié des pathologies émergentes qui frappent l’humanité depuis une vingtaine d’années sont des zoonoses - 60% d’après une étude récente de l’OMS. Elles se traduisent, selon une étude de 2017 du NCBI (National Center For Biology Information, USA), par 2,5 milliards cas de maladie chaque année. Elles proviennent d’une transmission animale du fait de la colonisation brutale des dernières régions sauvages, de la déforestation qui s’aggrave, du trafic d’espèces protégées destinées à la boucherie et la médecine traditionnelle, mais encore des élevages confinés – comme l’effrayant virus Nipah passé par les batteries de porcs malaises (1998).

 

“De nouvelles souches de grippe ont émergé de l’élevage, égraine froidement Peter Daszak dans le New York Times. Ebola, Sras, Mers et maintenant Covid 19 sont liés à la faune. Les nouvelles pandémies commencent généralement comme des virus chez les animaux qui se transmettent aux humains lorsque nous entrons en contact avec eux.” Dégradation de la biosphère, déforestation, massacres des animaux, élevage industriel, réduction des habitats naturels et maladies émergentes, épidémies, pandémies sont liés. Voilà ce que nous répètent depuis deux ans les méta-analyses du Johns Hopkins Center et de l’OMS. Il faudra bien un jour en prendre la mesure et commencer d’imaginer, si nous voulons survivre, le bouleversement sans précédent que cela signifie dans nos stratégies d’échange, d’élevage, d’alimentation et de coexistence à l’intérieur même du monde vivant... ■

Les niveaux extrêmes de stress thermique ont plus que doublé au cours des 40 dernières années, ce qui a des répercussions importantes sur la santé humaine. Crédit : Dustin Phillips (Flickr) CC BY-NC-ND 2.0.

MOURIR DE CHAUD

Les rythmes des cycles climatiques, avec leurs cycles d’étés torrides observés depuis longtemps, changent aujourd’hui – prenant un tempo plus rapide. L’apparition des canicules n’est plus seulement saisonnière, elle devient chronique et s’explique par le réchauffement anthropique (du grec ancien anthropos, humain, attribué à l’humain), comme le constate… froidement… Météo-France dans un article de fond paru en 2021. En France, en effet:

1 – La hausse moyenne des températures a atteint 1,7°C depuis 1900.

2 – Elle s’est accélérée ces dernières décennies.

3 – Elle survient de plus en plus précocement tandis que les canicules et les vagues de chaleur se multiplient: on a recensé 43 vagues de chaleur depuis 1947, dont 19 depuis 2010. Les deux phénomènes, réchauffement global et canicules locales sont liés, des analyses climatiques dites d’attribution le confirment, – elles vont s’aggraver inévitablement assure Météo-France. 

 

Nous sommes entrés dans des temps dangereux où il devient de plus en plus plausible de mourir de chaud, comme cela arrive désormais de plus en plus couramment dans les pays du Sud européen (en Espagne, en Italie, en Grèce, en France en 2003…). L’été 2022, les vague de chaleur et canicules ont causé près de 62.000 morts rien qu’en Europe d’après les chercheurs de l’ISGlobal, espagnol et de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) français, un chiffre probablement sous-estimé. Mais c’est surtout au Moyen-Orient et plus encore dans les pays chauds et humides d’Asie du Sud-Est que la chaleur tue; voyez plutôt…

Les vagues de chaleur frappent l’Inde. Hautes températures le 27 avril 2022 de plus de 40°.

Modélisation NASA. Wikimedia Commons.

DANS LE GUJARAT (INDE), LE 12 MAI,

IL PLEUVAIT DES OISEAUX MOURANTS

Le vendredi 13 mai 2022, alors que la France vivait son mois de mai le plus chaud depuis 1947, le mercure est monté à 50° Celsius à Jacobabad (Pakistan, province du Sindh) tandis que le pays supportait à grand peine des températures de 6 à 9° au-dessus des normales saisonnières: 40°C à Islamabad, à Karachi, à Lahore, à Peshawar, à Nawabshah, d’après le Service Météorologique national.

 

La canicule a pareillement durement frappé l’Inde, où les températures atteignaient jeudi 12 mai 48,1°C à Barmer (Rajasthan), 48,8°C à Banda (Uttar Pradesh), 45°C à New Delhi (où les ouvriers et les sans-abris s’entassaient à l’ombre des ponts), 50°C à Ahmedabad (Gujarat, où il pleuvait des oiseaux mourants) – des pics atteints après plusieurs semaines de canicules, le mois de mars indien  ayant été le plus chaud depuis 122 ans selon le Département météorologique, qui a évoqué des tempêtes de poussières chaudes dans le Punjab et l’Haryana. D’après la presse indienne, ces chaleurs extrêmes ont déjà tué 25 personnes dans l’État indien du Maharashtra, mais le nombre global des victimes n’a pas encore été évalué. Un être humain peut en effet mourir de chaud, et cette mort, des plus cruelle, devient de plus en plus fréquente sur Terre…

 

Mourir de chaud commence par une intense sensation d’épuisement du fait de la chaleur, qui semble écraser le corps tandis que la déshydratation associée génère des suées abondantes, des nausées, des céphalées violentes, des égarements et des pertes de conscience puis le coma, L’augmentation de la température interne – ou hyperthermie c’est-à-dire supérieure à 37°C – entraîne rapidement plusieurs réactions pathologiques graves… Des troubles répétés et dangereux du rythme cardiaque… Une accélération anormale de la respiration et de la ventilation pulmonaire… La peau devient brûlante sous la pression du sang et rougit intensément… Des phénomènes erratiques de coagulation intravasculaire se produisent… La paroi intestinale devient perméable à toutes les bactéries toxiques du microbiote digestif, ce qui déclenche une réaction inflammatoire qui redouble la température interne.

 

Cette hyperthermie et ces dérèglements mènent bientôt à une “réponse inflammatoire systémique”, tout l’organisme entre dans un “état sceptique” d’infection et d’inflammation généralisée au cours duquel les globules blancs augmentent rapidement, puis que les organes vitaux – cœur, poumons, estomac – se dérèglent puis lâchent.

LA CHALEUR HUMIDE TUE PLUS SÛREMENT

Dans les régions chaudes humides de l’Asie du Sud-Est, la mort par coup de chaleur est beaucoup plus fréquente que dans les régions sèches comme par exemple la Vallée de le mort en Amérique. Pourquoi? La montée de la température seule, si elle est dangereuse et éprouvante, n’est pas nécessairement mortelle jusqu’à 50°. Un humain peut supporter (difficilement, s’il boit beaucoup, s’il se repose, s’il est à l’ombre) des chaleurs de 45° quand l’air est sec du fait que la transpiration le rafraîchit et que la sueur s’évapore sur sa peau. Par contre, si l’air est déjà saturé d’humidité (de vapeur d’eau contenue dans l’air), l’évaporation par la sueur ne se fait pas. En ce cas, le corps ne se refroidit pas, sa température interne monte, avec toutes les pathologies inflammatoires associées – et l’humain meurt par hyperthermie dans les six heures…

 

Ce drame survient, comme le rappelle une longue analyse faite la NASA, quand le rapport entre la température et l’humidité atteint un niveau intenable pour le corps humain. Ce seuil a été estimé précisément à “35 degrés Tw” par ce qu’on appelle la mesure au thermomètre mouillé (de l’anglais “wet bulb” – nom de code Tw). Comment évaluer ce rapport? Il faut par exemple une température de 44,4°C et une humidité relative de l’air de 5% (comme à Ciudad Xuajez au Mexique) pour atteindre ce seuil fatal de 35°Tw. Et une chaleur de 37,8°C doublée d’une humidité de 85% (comme au Bengale au mois d’août) pour y parvenir – et mourir.

Un thermomètre sec et un thermomètre mouillé. Source: Wikimedia/CC/reado.

LE SEUIL DE TOLÉRANCE HUMAINE

A LA CHALEUR REVU À LA BAISSE

Malheureusement, en ces années années 2000, la température de 37,8° en milieu très humide devient un phénomène de plus en fréquent dans les régions subtropicales. Une étudie américano-britannique publiée en mai 2020 dans la revue Science Advances révèle ainsi que les seuils de thermomètre mouillé déjà très éprouvants (entre 27 et 33° Tw) ont déjà doublé en fréquence entre 1979 et 2017 en Asie du Sud, sur les côtes du Moyen-Orient et dans le sud-ouest de l’Amérique du Nord – un constat d’autant plus inquiétant qu’une récente étude de l’université de Pennsylvanie (US) a abaissé le seuil de tolérance humaine à 31° Tw, même pour des personnes en bonne santé.

 

Quant au seuil fatal de 35° Tw, il a été dépassé à neuf reprises depuis 2005 dans plusieurs localités du Pakistan et le Golfe persique d’après Colin Raymond du California Institute of Technology, co-auteur de l’analyse de la NASA, – ces températures létales, avance le chercheur, deviennent de moins en moins exceptionnelles: “Les incidences de températures au ‘thermomètre mouillé’ comprises entre 32 et 35°C, ont plus que triplé au cours des 40 dernières années”. 

 

A quoi faut-il s’attendre si le réchauffement n’est pas ralenti (et il ne l’est pas) comme nous l’a rappelé le GIEC dans son rapport alarmiste et solennel d’avril 2022 (“Nous sommes à un tournant” a prévenu son directeur Hoesung Lee). Des régions entières deviendront inhabitables. D’après les projections faites par la NASA, 30% de la population mondiale risquent de connaître des vagues de chaleur potentiellement meurtrières au moins 20 jours par an ces prochaines années. D’ici 2050, les pays du Golfe Persique, l’Irak (déjà frappé par la canicule de juillet 2021, 52°C, le système électrique sauté), le Koweït, l’Égypte, l’Arabie Saoudite, l’Éthiopie, la Somalie, le Yémen, et de l’Asie du Sud (Afghanistan, Bangladesh, Bhoutan, Inde, Népal, Pakistan, Sri Lanka) connaîtront des chaleurs humides extrêmes qui pourraient s’avérer “invivables”. Puis, en 2070, ce sera le tour de l’est de la Chine, le Brésil, puis, au Etats-Unis, de l’Arkansas, du Missouri de l’Iowa… Invivables. Inhabitables. Les mots tocsins d’aujourd’hui.

 

L’histoire récente de ces pays nous rappelle qu’il ne s’agit pas de paroles (dramatiques) en l’air! En Mai 2015, l’Inde a été touchée par une forte vague de chaleur qui a fait plusieurs milliers de victimes par hyperthermie. Dans l’État de l’Andhra Pradesh, au sud-est, la température est monté à 47°C et 1.334 personnes sont mortes – plus encore que lors de l’éprouvante canicule de 1995. En 2016, les températures en Irak dépassait 37°C en mai, 43°C en juin et frôlaient les 49°C en juillet, et des centaines de personnes ont décédé. Plus encore dans les grandes villes, du fait que le bitume et le béton absorbent et accumulent et stockent la chaleur puis la relâchent, ce qui aggrave les températures et, souvent, invalide le répit et le repos nocturne – sans oublier la qualité de l’air qui se détériore et les coupures de courant d’un réseau surchauffé (et donc l’arrêt de la climatisation et souvent de l’arrivée d’eau).

LA CANICULE N’ÉPARGNE PAS LES PAYS TEMPÉRÉS

N’oublions pas que des pays tempérés peuvent aussi être frappés par les grandes chaleurs. On se souviendra de la terrible canicule de l’été 2003 en Europe, de triste mémoire, avec ses 70.000 morts dans toute l’Europe et ses presque 20.000 dans une France choquée, pas du tout préparée à une telle fournaise: 39,3°C de Nancy et Reims, 39,4°C à Dinard, 40,5°C de Lyon et au Mans, 40,6°C à Biarritz, 40,7°C à Bordeaux et Toulouse, 41,6°C de Nîmes, 42,6°C à Orange, et 44,1 à Conqueyrac (Gard, le record absolu). Jusqu’à cet été meurtrier, de 2003 les risque de canicules étaient tout à fait sous-estimés en France. Depuis, un Plan Canicule a été mis en place, ainsi qu’une côte d’alerte vigilance rouge…

 

Et déjà, le 14 mai 2022 La Chaine Météo met en garde contre des risques de canicules estivales: “Cette semaine est marquée par un épisode de forte chaleur exceptionnel par sa précocité, sa durée et son intensité. Les 30°C seront atteints sur les 3/4 du pays de mardi à vendredi, avec des pointes vers 35°C dans le sud. Une chaleur difficile à supporter si vous craignez ces excès de températures. Dans certaines régions, on se situera 2°C sous les seuils de canicule.” Effectivement, le mercredi 18 mai 2022, la température a déjà atteint des records dans le Sud, que ce soit à Albi (33,7°C), à Toulouse (33,4°C) ou à Montélimar (33,8°C), égalant ceux de 2003, 2009 et 2017. D’après Météo-France, il a fait la semaine dernière entre 28 et 34°C dans la plupart des régions françaises, où les températures dépassent les normale saisonnières depuis le 11 avril – soit plus d’un mois. Les analystes estiment qu’il est “maintenant fort probable” que mai 2022 soit consacré le mois de mai le plus chaud jamais enregistré en France depuis 1947. 

LA “TRISTE LITANIE” DE L’ÉCHEC DE L’HUMANITÉ

Selon le dernier et angoissant rapport de l’Organisation météorologique mondiale (OMM) sur l’état du climat mondial en 2021  publié mercredi 18 mai, les indicateurs mondiaux critiques de la crise climatique ont battu des records en 2021 (montée des océans, désertification, sécheresses, inondations, augmentation de l’effet de serre atmosphérique, etc.) et les 7 dernières années ont été les plus chaudes enregistrées. Le rapport rappelle une fois encore que ces désastres se traduisent par un lourd tribut en vies humaines et malheurs, entraînent des centaines de milliards de dollars de dommages, déclenchent des hausses des prix des denrées alimentaires (exacerbées en 2022) – et qu’ils dépendent directement de l’impact des activités humaines extractives et émissives, toujours hors contrôle. “Le rapport sur l’état du climat d’aujourd’hui est une triste litanie de l’échec de l’humanité à lutter contre le dérèglement climatique. Les combustibles fossiles sont une impasse – écologiquement et économiquement”, a regretté António Guterres, le secrétaire général de l’ONU…

Vox clamantis in deserto. ■

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Frédéric Joignot, journaliste, romancier, essayiste. Dernier ouvrage: L’Art de la ruse (Tohu Bohu, 2018).

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