Badwater, Death Valley (Explored) - Flickr - Mike McBey.
MOURIR DE CHAUD.
MODE D’EMPLOI.
En Italie, les antiques Rome et Florence, ont été placées en alerte canicule. A Lodi, un ouvrier de 44 ans qui travaillait sous une chaleur de 40°C a perdu connaissance puis est décédé. Avis aux employés qui, en France, officient dans les zones chaudes: selon l’Institut National de Recherche et de Sécurité (INRS), travailler au dessus de 33° présente des dangers physiologiques… Ils peuvent exercer leur “droit de retrait”.
En Espagne, il a fait 45°C en Andalousie, les autorités ont déclaré 13 des 17 régions du pays en “risque élevé” ou “extrême” – une expression banale aujourd’hui. Selon l’observatoire européen Copernicus, la température du sol a dépassé les 60°C en Estrémadure – un record absolu… mortel. Pendant ce temps, en mer, les températures de surface vont être “extrêmement hautes dans les prochains jours et semaines”, parfois à plus de 30°C, soit 4°C au-dessus des moyennes. Ces canicules marines (présentes aussi en Atlantique), agressent toutes les espèces, menacent leur survie, dérangent leurs migrations (et la pèche), affectent les praires d’algues protégeant les jeunes poissons, détruisent les coraux, etc. En juin 2021, déjà, un rapport du World Wild Fund (WWF) alertait sur “le désastre” de la “tropicalisation” en cours en Méditerranée.
En France, selon Météo France, dix départements du Centre-Est, la Haute-Saône, le Doubs, la Côte-d’Or, le Jura, la Saône-et-Loire, l’Ain, le Rhône, la Loire, la Haute-Loire et le Puy-de-Dôme sont placés en vigilance orange pour des risques d’orages violents… et les Alpes-Maritimes pour canicule… Canicule? D’où vient l’expression? Ont-elles toujours existé? Quels risques font-elles courir aux humains comme aux animaux?
Les canicules ne datent pas d’aujourd’hui, surtout dans le bassin méditerranéen, où les romains les attribuaient à des cycles planétaires. “Canicule, comme nous le rappelle l’ethno-cinéaste, Patrick Deval, vient du latin ‘canicula’, diminutif de ‘canis’ (chien), ‘petite chienne’. Et Canicula est aussi le nom que des astronomes de l’Antiquité ont donné à une étoile appartenant à la constellation d’Orion, le ‘Grand Chien’, connue sous le nom de l’étoile Sirius, le nom du chien d’Orion – un célèbre chasseur de la mythologie grecque qui donna son patronyme à la plus grande constellation du ciel située sur l’équateur céleste. Or Sirius vient du grec seirius, signifiant ‘brûlant’, ‘ardent’, car il est l’astre le plus brillant du ciel après le Soleil, qui du 24 juillet au 24 août se lève en même temps que lui.” Ces assocations planétaires laissaient penser aux Anciens qu’il existait un lien entre l’apparition de Sirius et les grandes chaleurs….
Les niveaux extrêmes de stress thermique ont plus que doublé au cours des 40 dernières années, ce qui a des répercussions importantes sur la santé humaine. Crédit : Dustin Phillips (Flickr) CC BY-NC-ND 2.0.
MOURIR DE CHAUD
DANS LE GUJARAT (INDE), LE 12 MAI,
IL PLEUVAIT DES OISEAUX MOURANTS
Le vendredi 13 mai 2022, alors que la France vivait son mois de mai le plus chaud depuis 1947, le mercure est monté à 50° Celsius à Jacobabad (Pakistan, province du Sindh) tandis que le pays supportait à grand peine des températures de 6 à 9° au-dessus des normales saisonnières: 40°C à Islamabad, à Karachi, à Lahore, à Peshawar, à Nawabshah, d’après le Service Météorologique national.
La canicule a pareillement durement frappé l’Inde, où les températures atteignaient jeudi 12 mai 48,1°C à Barmer (Rajasthan), 48,8°C à Banda (Uttar Pradesh), 45°C à New Delhi (où les ouvriers et les sans-abris s’entassaient à l’ombre des ponts), 50°C à Ahmedabad (Gujarat, où il pleuvait des oiseaux mourants) – des pics atteints après plusieurs semaines de canicules, le mois de mars indien ayant été le plus chaud depuis 122 ans selon le Département météorologique, qui a évoqué des tempêtes de poussières chaudes dans le Punjab et l’Haryana. D’après la presse indienne, ces chaleurs extrêmes ont déjà tué 25 personnes dans l’État indien du Maharashtra, mais le nombre global des victimes n’a pas encore été évalué. Un être humain peut en effet mourir de chaud, et cette mort, des plus cruelle, devient de plus en plus fréquente sur Terre…
Mourir de chaud commence par une intense sensation d’épuisement du fait de la chaleur, qui semble écraser le corps tandis que la déshydratation associée génère des suées abondantes, des nausées, des céphalées violentes, des égarements et des pertes de conscience puis le coma, L’augmentation de la température interne – ou hyperthermie c’est-à-dire supérieure à 37°C – entraîne rapidement plusieurs réactions pathologiques graves… Des troubles répétés et dangereux du rythme cardiaque… Une accélération anormale de la respiration et de la ventilation pulmonaire… La peau devient brûlante sous la pression du sang et rougit intensément… Des phénomènes erratiques de coagulation intravasculaire se produisent… La paroi intestinale devient perméable à toutes les bactéries toxiques du microbiote digestif, ce qui déclenche une réaction inflammatoire qui redouble la température interne.
Cette hyperthermie et ces dérèglements mènent bientôt à une “réponse inflammatoire systémique”, tout l’organisme entre dans un “état sceptique” d’infection et d’inflammation généralisée au cours duquel les globules blancs augmentent rapidement, puis que les organes vitaux – cœur, poumons, estomac – se dérèglent puis lâchent.
LA CHALEUR HUMIDE TUE PLUS SÛREMENT
Dans les régions chaudes humides de l’Asie du Sud-Est, la mort par coup de chaleur est beaucoup plus fréquente que dans les régions sèches comme par exemple la Vallée de le mort en Amérique. Pourquoi? La montée de la température seule, si elle est dangereuse et éprouvante, n’est pas nécessairement mortelle jusqu’à 50°. Un humain peut supporter (difficilement, s’il boit beaucoup, s’il se repose, s’il est à l’ombre) des chaleurs de 45° quand l’air est sec du fait que la transpiration le rafraîchit et que la sueur s’évapore sur sa peau. Par contre, si l’air est déjà saturé d’humidité (de vapeur d’eau contenue dans l’air), l’évaporation par la sueur ne se fait pas. En ce cas, le corps ne se refroidit pas, sa température interne monte, avec toutes les pathologies inflammatoires associées – et l’humain meurt par hyperthermie dans les six heures…
Ce drame survient, comme le rappelle une longue analyse faite la NASA, quand le rapport entre la température et l’humidité atteint un niveau intenable pour le corps humain. Ce seuil a été estimé précisément à “35 degrés Tw” par ce qu’on appelle la mesure au thermomètre mouillé (de l’anglais “wet bulb” – nom de code Tw). Comment évaluer ce rapport? Il faut par exemple une température de 44,4°C et une humidité relative de l’air de 5% (comme à Ciudad Xuajez au Mexique) pour atteindre ce seuil fatal de 35°Tw. Et une chaleur de 37,8°C doublée d’une humidité de 85% (comme au Bengale au mois d’août) pour y parvenir – et mourir.
LE SEUIL DE TOLÉRANCE HUMAINE
A LA CHALEUR REVU À LA BAISSE
Malheureusement, en ces années années 2000, la température de 37,8° en milieu très humide devient un phénomène de plus en fréquent dans les régions subtropicales. Une étudie américano-britannique publiée en mai 2020 dans la revue Science Advances révèle ainsi que les seuils de thermomètre mouillé déjà très éprouvants (entre 27 et 33° Tw) ont déjà doublé en fréquence entre 1979 et 2017 en Asie du Sud, sur les côtes du Moyen-Orient et dans le sud-ouest de l’Amérique du Nord – un constat d’autant plus inquiétant qu’une récente étude de l’université de Pennsylvanie (US) a abaissé le seuil de tolérance humaine à 31° Tw, même pour des personnes en bonne santé.
Quant au seuil fatal de 35° Tw, il a été dépassé à neuf reprises depuis 2005 dans plusieurs localités du Pakistan et le Golfe persique d’après Colin Raymond du California Institute of Technology, co-auteur de l’analyse de la NASA, – ces températures létales, avance le chercheur, deviennent de moins en moins exceptionnelles: “Les incidences de températures au ‘thermomètre mouillé’ comprises entre 32 et 35°C, ont plus que triplé au cours des 40 dernières années”.
A quoi faut-il s’attendre si le réchauffement n’est pas ralenti (et il ne l’est pas) comme nous l’a rappelé le GIEC dans son rapport alarmiste et solennel d’avril 2022 (“Nous sommes à un tournant” a prévenu son directeur Hoesung Lee). Des régions entières deviendront inhabitables. D’après les projections faites par la NASA, 30% de la population mondiale risquent de connaître des vagues de chaleur potentiellement meurtrières au moins 20 jours par an ces prochaines années. D’ici 2050, les pays du Golfe Persique, l’Irak (déjà frappé par la canicule de juillet 2021, 52°C, le système électrique sauté), le Koweït, l’Égypte, l’Arabie Saoudite, l’Éthiopie, la Somalie, le Yémen, et de l’Asie du Sud (Afghanistan, Bangladesh, Bhoutan, Inde, Népal, Pakistan, Sri Lanka) connaîtront des chaleurs humides extrêmes qui pourraient s’avérer “invivables”. Puis, en 2070, ce sera le tour de l’est de la Chine, le Brésil, puis, au Etats-Unis, de l’Arkansas, du Missouri de l’Iowa… Invivables. Inhabitables. Les mots tocsins d’aujourd’hui.
L’histoire récente de ces pays nous rappelle qu’il ne s’agit pas de paroles (dramatiques) en l’air! En Mai 2015, l’Inde a été touchée par une forte vague de chaleur qui a fait plusieurs milliers de victimes par hyperthermie. Dans l’État de l’Andhra Pradesh, au sud-est, la température est monté à 47°C et 1.334 personnes sont mortes – plus encore que lors de l’éprouvante canicule de 1995. En 2016, les températures en Irak dépassait 37°C en mai, 43°C en juin et frôlaient les 49°C en juillet, et des centaines de personnes ont décédé. Plus encore dans les grandes villes, du fait que le bitume et le béton absorbent et accumulent et stockent la chaleur puis la relâchent, ce qui aggrave les températures et, souvent, invalide le répit et le repos nocturne – sans oublier la qualité de l’air qui se détériore et les coupures de courant d’un réseau surchauffé (et donc l’arrêt de la climatisation et souvent de l’arrivée d’eau).
LA CANICULE N’ÉPARGNE PAS LES PAYS TEMPÉRÉS
N’oublions pas que des pays tempérés peuvent aussi être frappés par les grandes chaleurs. On se souviendra de la terrible canicule de l’été 2003 en Europe, de triste mémoire, avec ses 70.000 morts dans toute l’Europe et ses presque 20.000 dans une France choquée, pas du tout préparée à une telle fournaise: 39,3°C de Nancy et Reims, 39,4°C à Dinard, 40,5°C de Lyon et au Mans, 40,6°C à Biarritz, 40,7°C à Bordeaux et Toulouse, 41,6°C de Nîmes, 42,6°C à Orange, et 44,1 à Conqueyrac (Gard, le record absolu). Jusqu’à cet été meurtrier, de 2003 les risque de canicules étaient tout à fait sous-estimés en France. Depuis, un Plan Canicule a été mis en place, ainsi qu’une côte d’alerte vigilance rouge…
Et déjà, le 14 mai 2022 La Chaine Météo met en garde contre des risques de canicules estivales: “Cette semaine est marquée par un épisode de forte chaleur exceptionnel par sa précocité, sa durée et son intensité. Les 30°C seront atteints sur les 3/4 du pays de mardi à vendredi, avec des pointes vers 35°C dans le sud. Une chaleur difficile à supporter si vous craignez ces excès de températures. Dans certaines régions, on se situera 2°C sous les seuils de canicule.” Effectivement, le mercredi 18 mai 2022, la température a déjà atteint des records dans le Sud, que ce soit à Albi (33,7°C), à Toulouse (33,4°C) ou à Montélimar (33,8°C), égalant ceux de 2003, 2009 et 2017. D’après Météo-France, il a fait la semaine dernière entre 28 et 34°C dans la plupart des régions françaises, où les températures dépassent les normale saisonnières depuis le 11 avril – soit plus d’un mois. Les analystes estiment qu’il est “maintenant fort probable” que mai 2022 soit consacré le mois de mai le plus chaud jamais enregistré en France depuis 1947.
LA “TRISTE LITANIE” DE L’ÉCHEC DE L’HUMANITÉ
Selon le dernier et angoissant rapport de l’Organisation météorologique mondiale (OMM) sur l’état du climat mondial en 2021 publié mercredi 18 mai, les indicateurs mondiaux critiques de la crise climatique ont battu des records en 2021 (montée des océans, désertification, sécheresses, inondations, augmentation de l’effet de serre atmosphérique, etc.) et les 7 dernières années ont été les plus chaudes enregistrées. Le rapport rappelle une fois encore que ces désastres se traduisent par un lourd tribut en vies humaines et malheurs, entraînent des centaines de milliards de dollars de dommages, déclenchent des hausses des prix des denrées alimentaires (exacerbées en 2022) – et qu’ils dépendent directement de l’impact des activités humaines extractives et émissives, toujours hors contrôle. “Le rapport sur l’état du climat d’aujourd’hui est une triste litanie de l’échec de l’humanité à lutter contre le dérèglement climatique. Les combustibles fossiles sont une impasse – écologiquement et économiquement”, a regretté António Guterres, le secrétaire général de l’ONU…
Vox clamantis in deserto. ■
––––––––
Frédéric Joignot, journaliste, romancier, essayiste. Dernier ouvrage: L’Art de la ruse (Tohu Bohu, 2018).
Blog invité du Monde: lemonde.fr/blog/fredericjoignot