“LE GRAND REMPLACEMENT” UNE THÉORIE FUMEUSE, COMPLOTISTE ET DE GUERRE CIVILE
Frédéric Joignot
“LE GRAND REMPLACEMENT”
UNE THÉORIE FUMEUSE, COMPLOTISTE
ET DE GUERRE CIVILE
Frédéric Joignot
Bansky. Sculpture qui représente des migrants dans des bateaux télécommandés, remplis de migrants aux visages exténués. Dans la mare à l’eau verdâtre, des corps sans vie flottent.
I - ERIC ZEMMOUR, JORDAN BARDELLA, LA COURSE À L’ÉCHALOTTE
I - ERIC ZEMMOUR, JORDAN BARDELLA, LA COURSE À L’ÉCHALOTTE
Asinus asinum fricat. L’âne se frotte aux ânes. Cela promet pour les mois à venir une surenchère dans la tirade haineuse, l’appel à la guerre civile, le raccourci historique depuis que la course à l’échalote a commencé entre le vice-président du Rassemblement National, Jordan Bardella, et le polémiste Eric Zemmour, improbable candidat probable à l’élection présidentielle. C’est depuis la rentée à qui avancera la plus grosse énormité tapageuse sur l’immigration pour pouvoir, l’un, flatter les voix de ses électeurs les plus belliqueux, l’autre, apparaître comme un identitaire pur et dur et les lui dérober. Une joute haute en couleuvres.
Asinus asinum fricat. L’âne se frotte aux ânes. Cela promet pour les mois à venir une surenchère dans la tirade haineuse, l’appel à la guerre civile, le raccourci historique depuis que la course à l’échalote a commencé entre le vice-président du Rassemblement National, Jordan Bardella, et le polémiste Eric Zemmour, improbable candidat probable à l’élection présidentielle. C’est depuis la rentée à qui avancera la plus grosse énormité tapageuse sur l’immigration pour pouvoir, l’un, flatter les voix de ses électeurs les plus belliqueux, l’autre, apparaître comme un identitaire pur et dur et les lui dérober. Une joute haute en couleuvres.
Depuis plusieurs semaines, cette escalade tourne autour de la récupération de la théorie complotiste du “grand remplacement” développée par l’écrivain d’extrême-droite Renaud Camus condamné en 2014 pour incitation à la haine raciale, très influencé par les thèses identitaires et antisémites de Maurice Barrés sur “la voix du sang et l’instinct du terroir” et de l’“action française” de Charles Maurras (qui finit collaborateur). On connaît cette spéculation outrée, reprise par toute l’extrême-droite, qui prétend que la population européenne et française va, dans sa démographie même, être bientôt submergée par l’immigration africaine et maghrébine musulmane – être majoritairement, démographiquement, “remplacée” par une “invasion” bien sûr imprudemment orchestrée par les élites libérales, mondialistes et “islamogauchistes.”
Depuis plusieurs semaines, cette escalade tourne autour de la récupération de la théorie complotiste du “grand remplacement” développée par l’écrivain d’extrême-droite Renaud Camus condamné en 2014 pour incitation à la haine raciale, très influencé par les thèses identitaires et antisémites de Maurice Barrés sur “la voix du sang et l’instinct du terroir” et de l’“action française” de Charles Maurras (qui finit collaborateur). On connaît cette spéculation outrée, reprise par toute l’extrême-droite, qui prétend que la population européenne et française va, dans sa démographie même, être bientôt submergée par l’immigration africaine et maghrébine musulmane – être majoritairement, démographiquement, “remplacée” par une “invasion” bien sûr imprudemment orchestrée par les élites libérales, mondialistes et “islamogauchistes.”
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Le suprémaciste blanc Brenton Tarrant, responsable de l’attaque terroriste des mosquees de Christchurch (Nouvelle-Zélande) en mars 2019 (49 morts), justifie son acte criminel dans un manifeste intitulé “The great replacement.”
Le suprémaciste blanc Brenton Tarrant, responsable de l’attaque terroriste des mosquees de Christchurch (Nouvelle-Zélande) en mars 2019 (49 morts), justifie son acte criminel dans un manifeste intitulé “The great replacement.”
Une thèse extrême, extrémiste, régulièrement battue en brèche par la majorité des démographes, des statisticiens et des historiens, qui n’est pas, malheureusement, sans conséquence. La doctrine du “grand remplacement” a directement inspiré Anders Behring Breivick, l’auteur des attentats d’Oslo et d’Utoya en Norvège le 22 juillet 2011 (77 morts, en majorité des adolescents travaillistes norvégiens jugés complices, 151 blessés), signataire d’un manifeste exaltant le nationalisme blanc, appelant à l’arrêt par des actions violentes de l’“Eurabia” (l’Europe submergée par les arabes). Un texte explicitement repris par le suprémaciste blanc Brenton Tarrant, responsable de l’attaque terroriste des mosquées de Christchurch (Nouvelle Zélande) en mars 2019 (49 morts), lui-même signataire du manifeste “The Great Replacement” où il justifie son acte criminel.
En France même, le groupe identitaire Action des forces opérationnelles (AFO), affirmait sur la page d’accueil de son site Internet “Guerre de France”: “Le grand remplacement est réel, visible partout en France et en Europe. Notre nation s’éteindra sous peu si nous n’y prenons pas garde. Rejoignez les rangs des Patriotes.” Treize de ses membres ont été interpellés en juin et juillet 2018, soupçonnés de vouloir empoisonner la nourriture halal dans plusieurs supermarchés pour tuer des musulmans français. Quant à l’OAS, l’Organisation des Armées Sociales (inspirées par l’OAS de la guerre d’Algérie, l’Organisation de l’armée secrète), dont plusieurs membres passaient en justice ces dernières semaines, ils voulaient terroriser les Français d’origine arabe ou africaine, les musulmans, les migrants, en s’attaquant à des restaurants, des mosquées, des épiceries, des marchés de rue, mais aussi à des personnalités politiques de gauche comme Christophe Castaner ou Jean-Luc Mélenchon.
Une thèse extrême, extrémiste, régulièrement battue en brèche par la majorité des démographes, des statisticiens et des historiens, qui n’est pas, malheureusement, sans conséquence. La doctrine du “grand remplacement” a directement inspiré Anders Behring Breivick, l’auteur des attentats d’Oslo et d’Utoya en Norvège le 22 juillet 2011 (77 morts, en majorité des adolescents travaillistes norvégiens jugés complices, 151 blessés), signataire d’un manifeste exaltant le nationalisme blanc, appelant à l’arrêt par des actions violentes de l’“Eurabia” (l’Europe submergée par les arabes). Un texte explicitement repris par le suprémaciste blanc Brenton Tarrant, responsable de l’attaque terroriste des mosquées de Christchurch (Nouvelle Zélande) en mars 2019 (49 morts), lui-même signataire du manifeste “The Great Replacement” où il justifie son acte criminel.
En France même, le groupe identitaire Action des forces opérationnelles (AFO), affirmait sur la page d’accueil de son site Internet “Guerre de France”: “Le grand remplacement est réel, visible partout en France et en Europe. Notre nation s’éteindra sous peu si nous n’y prenons pas garde. Rejoignez les rangs des Patriotes.” Treize de ses membres ont été interpellés en juin et juillet 2018, soupçonnés de vouloir empoisonner la nourriture halal dans plusieurs supermarchés pour tuer des musulmans français. Quant à l’OAS, l’Organisation des Armées Sociales (inspirées par l’OAS de la guerre d’Algérie, l’Organisation de l’armée secrète), dont plusieurs membres passaient en justice ces dernières semaines, ils voulaient terroriser les Français d’origine arabe ou africaine, les musulmans, les migrants, en s’attaquant à des restaurants, des mosquées, des épiceries, des marchés de rue, mais aussi à des personnalités politiques de gauche comme Christophe Castaner ou Jean-Luc Mélenchon.
Analyse des inscriptions sur l’arme de Brenton Tarrant. Sur ses armes et les magasins, il écrit les noms de meurtriers d'extrême droite et de figures historiques qui ont combattu des pays musulmans, principalement l'empire Ottoman; il fait également référence à l'affaire des viols collectifs de Rotherham.
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Depuis l’horrible XXe siecle, l’influence néfaste des idéologies d’exclusion et totalisantes (les “langages totalitaires” comme les appellent Hannah Arendt et Jean-Pierre Faye) et leur rôle moteur dans la violence partisane sont hélas parfaitement renseignés.
Depuis l’horrible XXe siecle, l’influence néfaste des idéologies d’exclusion et totalisantes (les “langages totalitaires” comme les appellent Hannah Arendt et Jean-Pierre Faye) et leur rôle moteur dans la violence partisane sont hélas parfaitement renseignés.
Leur but affirmé, pousser les “envahisseurs” à quitter d’eux-mêmes la France, provoquer une “remigration” – arrêter le grand remplacement par la terreur; une sorte de djihad à l’envers dans la lignée du groupuscule Génération Identitaire dissous en mars par le ministère de l’intérieur. Il n’est pas un hasard qu’un des membre de cette OAS ai été l’administrateur de la page Facebook “les admirateurs d’Anders Breivik” et de son manifeste. Quant à Rémi Daillet, figure des milieux complotistes et anti-vax de l’ultradroite, mis en examen à Nancy dans l’affaire de l’enlèvement de la petite Mia, il a été entendu par la DGSI dans le cadre des projets d’attentat du groupuscule d’ultradroite Honneur et Nation – lui aussi adepte et promoteur de la théorie du “grand remplacement”… N’oublions pas non plus la multiplication des actions violentes de l’extrême-droite notamment à Lyon, comme l’attaque de la libraire libertaire de la Croix Rousse, La Plume noire, ou les menaces physiques contre des activistes des mouvements LGBT…
Tous ces projets criminels, ces passages à l’acte par des groupes factieux s’inquiétant d’un “grand remplacement de peuple”, révèlent combien le terrorisme d’extrême-droite devient de plus en plus menaçant en France et en Europe (comme l’assure le Renseignement allemand et français ) – dangereux pendant du terrorisme islamiste. Hélas, depuis l’horrible XXe siècle, l’influence néfaste des idéologies d’exclusion et totalisantes (les “langages totalitaires” comme les appellent Hannah Arendt et Jean-Pierre Faye) et leur rôle moteur dans la violence partisane est parfaitement renseignée: ce qui interroge la responsabilité de celles et ceux qui les popularisent, des médias qui offrent plateaux et colonnes à leurs thuriféraires…
Le 25 août, Jordan Bardella, président par intérim du Rassemblement national, ouvre le bal des remplacistes avec un tweet alarmiste – le RN est dans l’alarme permanente jamais la résolution crédible (sortie de l'euro en 2017, retraite à 60 ans aujourd'hui) – assurant sans sourciller que de récentes “données de l’Insee nous confirment ce que nous disons depuis longtemps: l’immigration entraîne un changement de population, inédit dans notre histoire par sa rapidité et son ampleur. Il nous reste peu de temps pour choisir le visage qu’aura demain la France”. C’est la première fois que le RN revendique ouvertement de la théorie du grand remplacement de population - même si Bardella assure que cela fait "longtemps" (en coulisse peut-être, entre “nous”).
Leur but affirmé, pousser les “envahisseurs” à quitter d’eux-mêmes la France, provoquer une “remigration” – arrêter le grand remplacement par la terreur; une sorte de djihad à l’envers dans la lignée du groupuscule Génération Identitaire dissous en mars par le ministère de l’intérieur. Il n’est pas un hasard qu’un des membre de cette OAS ai été l’administrateur de la page Facebook “les admirateurs d’Anders Breivik” et de son manifeste. Quant à Rémi Daillet, figure des milieux complotistes et anti-vax de l’ultradroite, mis en examen à Nancy dans l’affaire de l’enlèvement de la petite Mia, il a été entendu par la DGSI dans le cadre des projets d’attentat du groupuscule d’ultradroite Honneur et Nation – lui aussi adepte et promoteur de la théorie du “grand remplacement”… N’oublions pas non plus la multiplication des actions violentes de l’extrême-droite notamment à Lyon, comme l’attaque de la libraire libertaire de la Croix Rousse, La Plume noire, ou les menaces physiques contre des activistes des mouvements LGBT…
Tous ces projets criminels, ces passages à l’acte par des groupes factieux s’inquiétant d’un “grand remplacement de peuple”, révèlent combien le terrorisme d’extrême-droite devient de plus en plus menaçant en France et en Europe (comme l’assure le Renseignement allemand et français ) – dangereux pendant du terrorisme islamiste. Hélas, depuis l’horrible XXe siècle, l’influence néfaste des idéologies d’exclusion et totalisantes (les “langages totalitaires” comme les appellent Hannah Arendt et Jean-Pierre Faye) et leur rôle moteur dans la violence partisane est parfaitement renseignée: ce qui interroge la responsabilité de celles et ceux qui les popularisent, des médias qui offrent plateaux et colonnes à leurs thuriféraires…
Le 25 août, Jordan Bardella, président par intérim du Rassemblement national, ouvre le bal des remplacistes avec un tweet alarmiste – le RN est dans l’alarme permanente jamais la résolution crédible (sortie de l'euro en 2017, retraite à 60 ans aujourd'hui) – assurant sans sourciller que de récentes “données de l’Insee nous confirment ce que nous disons depuis longtemps: l’immigration entraîne un changement de population, inédit dans notre histoire par sa rapidité et son ampleur. Il nous reste peu de temps pour choisir le visage qu’aura demain la France”. C’est la première fois que le RN revendique ouvertement de la théorie du grand remplacement de population - même si Bardella assure que cela fait "longtemps" (en coulisse peut-être, entre “nous”).
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“En 2100, nous serons une république islamique. Le grand remplacement (…) est un processus inéluctable qui, si on ne l’arrête pas, nous emportera tous.”
Éric Zemmour.
“En 2100, nous serons une république islamique. Le grand remplacement (…) est un processus inéluctable qui, si on ne l’arrête pas, nous emportera tous.”
Éric Zemmour.
Eric Zemmour, à qui certaines télévisions offrent de façon irresponsable une tribune permanente sans lui tenir la dragée haute, reprend la main à Mirabeau (Vaucluse), invité à s'exprimer par l’entrepreneur Rafik Smati, président du mouvement Objectif France. Il martèle avec le sens de la nuance qui le caractérise, lui qui a été lourdement mis à l'amende de 200.000€ avec la chaine CNews par le Conseil Supérieur de l'Audiovisuel (CSA) pour des propos racistes outranciers : “En 2100, nous serons une République islamique. Le grand remplacement (…) est un processus inéluctable qui, si on ne l’arrête pas, nous emportera tous.”
En septembre, Jordan Bardella n’est pas en reste. Invité politique de BFM TV, il surenchérit: “Quand je vois les LR aujourd’hui, Les Républicains, nous dire “on a un problème avec l’immigration”, il y a un basculement démographique. Mais ça fait quarante ans que nous disons cela” (autrement dit le RN poursuit ce que fulminait le FN de Jean-Marie Le Pen). Avant d'ajouter vigoureusement: “Oui! il y a un basculement démographique qui pourrait faire craindre que la France ne change de visage dans quelques années, et c’est déjà en train d’arriver!”
Nous y sommes, Bardella parle comme Zemmour, et réciproquement tous deux agitent le même épouvantail d’un grand remplacement démographique de la population française par l’immigration actuelle. Un véritable “changement de peuple”. Une submersion rapide des 60 millions de Français non immigrés. Il est amusant de constater qu'un des responsables du Rassemblement National, Philippe Olivier, conseiller spécial de Marine Le Pen, s’est récemment démarqué des propos va-t-en guerre d'Eric Zemmour, dénonçant son irréalisme et ses relents de guerre civile: “Un polémiste ne fait pas un politique, se moque-t-il... L’islam est incompatible avec la République, blablabla… Et alors, on pourchasse les musulmans? On fait la Saint-Barthélemy? Les bonnes idées se heurtent à la réalité et à la loi” (Le Monde, 2 septembre). Peut-être ce sont des mauvaises idées alors?
Eric Zemmour, à qui certaines télévisions offrent de façon irresponsable une tribune permanente sans lui tenir la dragée haute, reprend la main à Mirabeau (Vaucluse), invité à s'exprimer par l’entrepreneur Rafik Smati, président du mouvement Objectif France. Il martèle avec le sens de la nuance qui le caractérise, lui qui a été lourdement mis à l'amende de 200.000€ avec la chaine CNews par le Conseil Supérieur de l'Audiovisuel (CSA) pour des propos racistes outranciers : “En 2100, nous serons une République islamique. Le grand remplacement (…) est un processus inéluctable qui, si on ne l’arrête pas, nous emportera tous.”
En septembre, Jordan Bardella n’est pas en reste. Invité politique de BFM TV, il surenchérit: “Quand je vois les LR aujourd’hui, Les Républicains, nous dire “on a un problème avec l’immigration”, il y a un basculement démographique. Mais ça fait quarante ans que nous disons cela” (autrement dit le RN poursuit ce que fulminait le FN de Jean-Marie Le Pen). Avant d'ajouter vigoureusement: “Oui! il y a un basculement démographique qui pourrait faire craindre que la France ne change de visage dans quelques années, et c’est déjà en train d’arriver!”
Nous y sommes, Bardella parle comme Zemmour, et réciproquement tous deux agitent le même épouvantail d’un grand remplacement démographique de la population française par l’immigration actuelle. Un véritable “changement de peuple”. Une submersion rapide des 60 millions de Français non immigrés. Il est amusant de constater qu'un des responsables du Rassemblement National, Philippe Olivier, conseiller spécial de Marine Le Pen, s’est récemment démarqué des propos va-t-en guerre d'Eric Zemmour, dénonçant son irréalisme et ses relents de guerre civile: “Un polémiste ne fait pas un politique, se moque-t-il... L’islam est incompatible avec la République, blablabla… Et alors, on pourchasse les musulmans? On fait la Saint-Barthélemy? Les bonnes idées se heurtent à la réalité et à la loi” (Le Monde, 2 septembre). Peut-être ce sont des mauvaises idées alors?
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Sur les 273.000 immigres entrés en France en 2019, 112.000 sont d’origine africaine (57.000 du Maghreb), 87.000 d’Europe, 44.000 d’Asie, 30.000 d’Amerique ou d’Oceanie. L’immigration est multiple.
Sur les 273.000 immigres entrés en France en 2019, 112.000 sont d’origine africaine (57.000 du Maghreb), 87.000 d’Europe, 44.000 d’Asie, 30.000 d’Amerique ou d’Oceanie. L’immigration est multiple.
Quelles sont ces nouvelles “données de l’Insee” qui, d’après Bardela et Zemmour, confirment qu’un grand remplacement de la population française par une population africaine musulmane serait “inéluctable”? Il s’agit d’une étude démographique consacrée aux migrations publiée le 7 avril, qui nous apprend ceci: “Entre les 1ᵉʳ janvier 2017 et 2018, la population française s’est accrue de 317.000 personnes, et parmi elles, 44% sont immigrées.”
C’est ce chiffre “44% d’immigrés”, soit 139.000 personnes, que Bardella et les identitaires brandissent sur les plateaux de CNews et BFM, ou dans les articles approximatifs et fourre-tout de Causeur et Valeurs Actuelles, pour valider leurs imprécations: Tremblez! presque la moitié des nouveaux arrivants en France est immigrée, le grand basculement de population est en route.
Il est intéressant de consulter toute l’enquête avant de crier aux loups envahissant la blanche bergerie France. D’une part, l’Insee le rappelle, 67 millions de personnes vivent en France, dont 6,6 millions d’immigrés (recensement au 1ᵉʳ janvier 2018, sachant que par “immigré” l’Insee entend les “immigrés de nationalité étrangère” mais aussi les 36% d’“immigrés naturalisés français” – des Français donc.). Difficile, déjà, en comparant ces deux chiffres, (60 millions – 6,6 millions) de parler d’un inéluctable processus de “remplacement de peuple”. Ensuite, l’Insee rappelle que, parallèlement au 139.000 entrant, 63.000 immigrés sont “sortis” de France en 2017 (en particulier des étudiants en fin d’étude et des retraités qui retournent au pays comme chaque année): ceux-là ne remplacent donc personne...
Autre donnée Insee à réfléchir: sur les 273.000 immigrés entrés en France en 2019, 112.000 sont d’origine africaine (57.000 du Maghreb), 87.000 d’Europe, 44.000 d’Asie, 30.000 d’Amérique ou d’Océanie. L’immigration est donc multiple, variée, pas juste afro-maghrébine et musulmane (même si celle-ci progresse). Ajoutons que ce sont des jeunes qui constituent la majorité de ces nouveaux immigrés diversifiés: 60% ont moins de 30 ans, 25% sont mineurs, 30% ont entre 18 à 29 ans. C’est important de le préciser, parce que nombre d’entre eux vont former des couples mixtes avec des Français.
Quelles sont ces nouvelles “données de l’Insee” qui, d’après Bardela et Zemmour, confirment qu’un grand remplacement de la population française par une population africaine musulmane serait “inéluctable”? Il s’agit d’une étude démographique consacrée aux migrations publiée le 7 avril, qui nous apprend ceci: “Entre les 1ᵉʳ janvier 2017 et 2018, la population française s’est accrue de 317.000 personnes, et parmi elles, 44% sont immigrées.”
C’est ce chiffre “44% d’immigrés”, soit 139.000 personnes, que Bardella et les identitaires brandissent sur les plateaux de CNews et BFM, ou dans les articles approximatifs et fourre-tout de Causeur et Valeurs Actuelles, pour valider leurs imprécations: Tremblez! presque la moitié des nouveaux arrivants en France est immigrée, le grand basculement de population est en route.
Il est intéressant de consulter toute l’enquête avant de crier aux loups envahissant la blanche bergerie France. D’une part, l’Insee le rappelle, 67 millions de personnes vivent en France, dont 6,6 millions d’immigrés (recensement au 1ᵉʳ janvier 2018, sachant que par “immigré” l’Insee entend les “immigrés de nationalité étrangère” mais aussi les 36% d’“immigrés naturalisés français” – des Français donc.). Difficile, déjà, en comparant ces deux chiffres, (60 millions – 6,6 millions) de parler d’un inéluctable processus de “remplacement de peuple”. Ensuite, l’Insee rappelle que, parallèlement au 139.000 entrant, 63.000 immigrés sont “sortis” de France en 2017 (en particulier des étudiants en fin d’étude et des retraités qui retournent au pays comme chaque année): ceux-là ne remplacent donc personne...
Autre donnée Insee à réfléchir: sur les 273.000 immigrés entrés en France en 2019, 112.000 sont d’origine africaine (57.000 du Maghreb), 87.000 d’Europe, 44.000 d’Asie, 30.000 d’Amérique ou d’Océanie. L’immigration est donc multiple, variée, pas juste afro-maghrébine et musulmane (même si celle-ci progresse). Ajoutons que ce sont des jeunes qui constituent la majorité de ces nouveaux immigrés diversifiés: 60% ont moins de 30 ans, 25% sont mineurs, 30% ont entre 18 à 29 ans. C’est important de le préciser, parce que nombre d’entre eux vont former des couples mixtes avec des Français.
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Le nombre d’immigrés en France – 6,6 millions, soit 10,2% de la population – est plus bas qu’en Allemagne (16,2 %), en Belgique (17,3%), en Espagne (13,3%), aux Pays-Bas (13,5%) ou au royaume-uni (13,7%) – la moitié du Canada (20,3%).
Le nombre d’immigrés en France – 6,6 millions, soit 10,2% de la population – est plus bas qu’en Allemagne (16,2 %), en Belgique (17,3%), en Espagne (13,3%), aux Pays-Bas (13,5%) ou au royaume-uni (13,7%) – la moitié du Canada (20,3%).
De par le fait, en 2017, comme le rapporte une étude de France Stratégie sur la “ségrégation résidentielle”, 42% des mineurs vivant dans les grandes agglomérations et leurs banlieues avaient “un seul parent immigré non-européen” – contre 31% en 1990. Une hausse marquée. Ces chiffres révèlent une augmentation significative des couples mixtes, générant un métissage tant ethnique que culturel – pas un grand remplacement...
N'oublions pas non plus que le nombre d’immigrés en France – 6,6 millions, soit 10,2% de la population (sans compter les clandestins, plus mouvants et difficiles à évaluer) – est plus bas qu'en Allemagne (16,2%), en Belgique (17,3%), en Espagne (13,3%), aux Pays-Bas (13,5%) ou au Royaume-Uni (13,7%) – et la moitié de celui du Canada (20,3%). Il faut aussi savoir que sur les 90.000 titres de séjour accordés à des étrangers non européens, la moitié concernent des conjoints de citoyens français: il s'agit de regroupement familial...
Ajoutons qu’une forte part des personnes de l'immigration de travail ou humanitaire (les réfugiés des dictatures) venue d'Afrique et Maghreb s’installe dans des banlieues autour des grandes villes comme Marseille et Paris, où elle a été historiquement concentrée pour des raisons historiques, économiques (bas coût du logement, foyers...) et d’emploi (regroupement d'une main d’œuvre bon marché). Ce sont ces zones suburbaines populaires, ouvrières, à forte composante jeune, immigrée et musulmane, avec beaucoup de chômage, certaines “difficiles” (on se souvient des émeutes de Seine Saint-Denis en 2005), parfois “abandonnées” ou “perdues pour la République” (prévalence d’un sectarisme religieux, de sexisme, d’incivilités et d’antisémitisme, comme l’ont révélé de professeurs de gauche en 2002), ces “quartiers immigrés” donc que le RN, les identitaires et Zemmour, dénoncent comme étant la preuve vivante du “grand remplacement” en cours de toute la population française.
En fait, comme l’avance l’étude de France stratégie, l’extrême droite “extrapole” la situation caractéristique de la banlieue francilienne ou des quartiers nord de Marseille à prédominance immigrée à l’ensemble de la France, la généralisant, la dramatisant et l’étendant à toutes les régions, ce qui est une tromperie – ce faisant, ils désignent tout immigré non-européen et surtout musulman comme étant un ennemi potentiel omniprésent, un terroriste en puissance, et plus encore une menace biologique, un danger démographique, cela dans tout le pays: induisant une logique de discrimination, de triage, de bouc émissaire et de guerre civile...
De par le fait, en 2017, comme le rapporte une étude de France Stratégie sur la “ségrégation résidentielle”, 42% des mineurs vivant dans les grandes agglomérations et leurs banlieues avaient “un seul parent immigré non-européen” – contre 31% en 1990. Une hausse marquée. Ces chiffres révèlent une augmentation significative des couples mixtes, générant un métissage tant ethnique que culturel – pas un grand remplacement...
N'oublions pas non plus que le nombre d’immigrés en France – 6,6 millions, soit 10,2% de la population (sans compter les clandestins, plus mouvants et difficiles à évaluer) – est plus bas qu'en Allemagne (16,2%), en Belgique (17,3%), en Espagne (13,3%), aux Pays-Bas (13,5%) ou au Royaume-Uni (13,7%) – et la moitié de celui du Canada (20,3%). Il faut aussi savoir que sur les 90.000 titres de séjour accordés à des étrangers non européens, la moitié concernent des conjoints de citoyens français: il s'agit de regroupement familial...
Ajoutons qu’une forte part des personnes de l'immigration de travail ou humanitaire (les réfugiés des dictatures) venue d'Afrique et Maghreb s’installe dans des banlieues autour des grandes villes comme Marseille et Paris, où elle a été historiquement concentrée pour des raisons historiques, économiques (bas coût du logement, foyers...) et d’emploi (regroupement d'une main d’œuvre bon marché). Ce sont ces zones suburbaines populaires, ouvrières, à forte composante jeune, immigrée et musulmane, avec beaucoup de chômage, certaines “difficiles” (on se souvient des émeutes de Seine Saint-Denis en 2005), parfois “abandonnées” ou “perdues pour la République” (prévalence d’un sectarisme religieux, de sexisme, d’incivilités et d’antisémitisme, comme l’ont révélé de professeurs de gauche en 2002), ces “quartiers immigrés” donc que le RN, les identitaires et Zemmour, dénoncent comme étant la preuve vivante du “grand remplacement” en cours de toute la population française.
En fait, comme l’avance l’étude de France stratégie, l’extrême droite “extrapole” la situation caractéristique de la banlieue francilienne ou des quartiers nord de Marseille à prédominance immigrée à l’ensemble de la France, la généralisant, la dramatisant et l’étendant à toutes les régions, ce qui est une tromperie – ce faisant, ils désignent tout immigré non-européen et surtout musulman comme étant un ennemi potentiel omniprésent, un terroriste en puissance, et plus encore une menace biologique, un danger démographique, cela dans tout le pays: induisant une logique de discrimination, de triage, de bouc émissaire et de guerre civile...
Cicilie Fagerlid | Flickr.
II - LE GRAND REMPLACEMENT VU PAR RENAUD CAMUS ET LES IDENTITAIRES: DÉCRYPTAGE DE DÉTAIL
II - LE GRAND REMPLACEMENT VU PAR RENAUD CAMUS ET LES IDENTITAIRES: DÉCRYPTAGE DE DÉTAIL
Grand remplacement… Renaud Camus, l’écrivain français sympathisant du Front National est l’inventeur de l’expression en français, tout comme la théorisation de son concept – même s’il en a emprunté bien des idées à d’autres auteurs, notamment à l’écrivain et homme politique ultra-nationaliste français Maurice Barrés. L’article qui suit est une visite guidée détaillée du texte de Renaud Camus assortie de réactions de démographes, de sociologues et d’historiens publiée en partie dans Le Monde Idées en février 2014 et étoffée depuis.
“Le Grand Remplacement est le choc le plus grave qu’ait connu notre patrie depuis le début de son histoire puisque, si le changement de peuple et de civilisation, déjà tellement avancé, est mené jusqu’à son terme, l’histoire qui continuera ne sera plus la sienne, ni la nôtre.” C’est en ces termes alarmistes que l’écrivain Renaud Camus, proche du Front national, a lancé en septembre 2013 un manifeste intitulé: “Non au changement de peuple et de civilisation.”
Depuis plusieurs années, cette “théorie du remplacement” du peuple français “de souche” par d’autres peuples, principalement venus du Maghreb et d’Afrique, connaît une popularité grandissante dans les milieux politiques d’extrême droite et de droite. Cet écho mérite qu’on s’y arrête car cette théorie cristallise des peurs profondes, des discours de plus en plus radicaux, quand elle n’inspire pas des passages à l’acte tragiques comme celui de Christchurch – ou encore, en France, la création de groupes comme l’Action des forces opérationnelles (AFO), dont treize membres ont été interpellés en juin et juillet 2018. Ils étaient soupçonnés de vouloir s’en prendre aux musulmans, en empoisonnant la nourriture halal dans des supermarchés. On lisait en page d’accueil de leur site Internet: “Le grand remplacement est réel, visible partout en France et en Europe. Notre nation s’éteindra sous peu si nous n’y prenons pas garde. Rejoignez les rangs des Patriotes.”
Les groupes identitaires l’exaltent, le Front national l’évoque, la blogosphère d’extrême droite la soutient, des magazines comme Valeurs Actuelles et Causeur la relaient. La théorie du “grand Remplacement” est régulièrement évoquée par des intellectuels ou des journalistes qui dénoncent la dissolution de l’“identité française”… Même Alain Finkielkraut, qui n’est pas d’extrême-droite, montre de la sympathie pour Renaud Camus dans “L’Identité malheureuse” (2013), où il file une comparaison très osée entre ses thèses identitaires radicales et le contrat social selon Thomas Hobbes.
Quant à Charles Beigbeder, l’ancien secrétaire national de l’UMP, il l’associe à l’inquiétude civilisationnelle des marcheurs de La Manif pour tous opposés au mariage homosexuel. “Cette mobilisation est née de la prise de conscience de l’impérieuse nécessité de conserver notre identité de civilisation. (…) En toile de fond, on ne peut être insensible au “grand remplacement” théorisé par Renaud Camus, qui voit la culture occidentale s’effacer au profit des “cultures d’origine” des populations allogènes”, expliquait-il dans le mensuel Causeur en août 2013.
Grand remplacement… Renaud Camus, l’écrivain français sympathisant du Front National est l’inventeur de l’expression en français, tout comme la théorisation de son concept – même s’il en a emprunté bien des idées à d’autres auteurs, notamment à l’écrivain et homme politique ultra-nationaliste français Maurice Barrés. L’article qui suit est une visite guidée détaillée du texte de Renaud Camus assortie de réactions de démographes, de sociologues et d’historiens publiée en partie dans Le Monde Idées en février 2014 et étoffée depuis.
“Le Grand Remplacement est le choc le plus grave qu’ait connu notre patrie depuis le début de son histoire puisque, si le changement de peuple et de civilisation, déjà tellement avancé, est mené jusqu’à son terme, l’histoire qui continuera ne sera plus la sienne, ni la nôtre.” C’est en ces termes alarmistes que l’écrivain Renaud Camus, proche du Front national, a lancé en septembre 2013 un manifeste intitulé: “Non au changement de peuple et de civilisation.”
Depuis plusieurs années, cette “théorie du remplacement” du peuple français “de souche” par d’autres peuples, principalement venus du Maghreb et d’Afrique, connaît une popularité grandissante dans les milieux politiques d’extrême droite et de droite. Cet écho mérite qu’on s’y arrête car cette théorie cristallise des peurs profondes, des discours de plus en plus radicaux, quand elle n’inspire pas des passages à l’acte tragiques comme celui de Christchurch – ou encore, en France, la création de groupes comme l’Action des forces opérationnelles (AFO), dont treize membres ont été interpellés en juin et juillet 2018. Ils étaient soupçonnés de vouloir s’en prendre aux musulmans, en empoisonnant la nourriture halal dans des supermarchés. On lisait en page d’accueil de leur site Internet: “Le grand remplacement est réel, visible partout en France et en Europe. Notre nation s’éteindra sous peu si nous n’y prenons pas garde. Rejoignez les rangs des Patriotes.”
Les groupes identitaires l’exaltent, le Front national l’évoque, la blogosphère d’extrême droite la soutient, des magazines comme Valeurs Actuelles et Causeur la relaient. La théorie du “grand Remplacement” est régulièrement évoquée par des intellectuels ou des journalistes qui dénoncent la dissolution de l’“identité française”… Même Alain Finkielkraut, qui n’est pas d’extrême-droite, montre de la sympathie pour Renaud Camus dans “L’Identité malheureuse” (2013), où il file une comparaison très osée entre ses thèses identitaires radicales et le contrat social selon Thomas Hobbes.
Quant à Charles Beigbeder, l’ancien secrétaire national de l’UMP, il l’associe à l’inquiétude civilisationnelle des marcheurs de La Manif pour tous opposés au mariage homosexuel. “Cette mobilisation est née de la prise de conscience de l’impérieuse nécessité de conserver notre identité de civilisation. (…) En toile de fond, on ne peut être insensible au “grand remplacement” théorisé par Renaud Camus, qui voit la culture occidentale s’effacer au profit des “cultures d’origine” des populations allogènes”, expliquait-il dans le mensuel Causeur en août 2013.
NOURRISSONS “VOLONTIERS MUSULMANS”
NOURRISSONS “VOLONTIERS MUSULMANS”
Dans son livre auto-édité Le Changement de peuple, paru en 2013, Renaud Camus détaille cette “théorie du remplacement”. L’écrivain affiche une grande mélancolie pour le passé et la France d’hier qui n’aurait pas résisté à la mondialisation des échanges, des cultures, des arts et des médias: il affirme que les “maîtres du commerce international” et les “chevaliers de l’industrie globalisée” ont transformé chaque Français en un “pion désoriginé échangeable à merci, sans aspérités d’appartenance, délocalisable”. Ce faisant, ajoute-t-il, ils ont façonné un “homme remplaçable, débarrassé de toute spécificité nationale, ethnique et culturelle” – comme si chaque Français, bien souvent d’origine multiple, mais connaissant l’histoire agitée de son pays – le “creuset français” comme l’appelle l’historien Gérard Noiriel – n’était pas capable d’intégrer ou de rejeter en conscience ce qui provient d’autres cultures. On pense aux pages alarmistes de Maurice Barrès dans “Les Déracinés” (1897), où cet anti-dreyfusard virulent, pour qui les juifs corrompaient la France, fondateur du journal La Cocarde, qui affirmait qu’Emile Zola n’était pas français, développe sa théorie du “Moi-national” “fondé sur le culte de la terre et des Morts, et entonne l’hymne de l’enracinement” (selon l’expression de l’historien Michel Winock).
Selon Renaud Camus, cet “économisme pur”, relayé par le patronat français et par des hommes politiques inconscients ou complices, nous a fait perdre le sens de “la patrie” et de “l’épaisseur des siècles”: il a dissous la mémoire de notre histoire et de notre littérature (Zola en fait-il partie?), diluant les individus dans une “Grande Déculturation”. C’est cette “hébétude” généralisée qui a permis aux élites corrompues et avides d’orchestrer sans résistance une véritable “colonisation de peuplement” du pays par l’immigration maghrébo-africaine. A la fin du texte, Renaud Camus affirme qu’en France “la proportion d’indigènes est encore assez haute parmi les personnes les plus âgées, mais elle va s’amenuisant spectaculairement à mesure qu’on descend dans l’échelle des âges. Tendanciellement (…), les nourrissons sont arabes ou noirs, et volontiers musulmans.” Ces nourrissons musulmans, bien sûr, naissent en criant “Allahou akbar”.
Dans son livre auto-édité Le Changement de peuple, paru en 2013, Renaud Camus détaille cette “théorie du remplacement”. L’écrivain affiche une grande mélancolie pour le passé et la France d’hier qui n’aurait pas résisté à la mondialisation des échanges, des cultures, des arts et des médias: il affirme que les “maîtres du commerce international” et les “chevaliers de l’industrie globalisée” ont transformé chaque Français en un “pion désoriginé échangeable à merci, sans aspérités d’appartenance, délocalisable”. Ce faisant, ajoute-t-il, ils ont façonné un “homme remplaçable, débarrassé de toute spécificité nationale, ethnique et culturelle” – comme si chaque Français, bien souvent d’origine multiple, mais connaissant l’histoire agitée de son pays – le “creuset français” comme l’appelle l’historien Gérard Noiriel – n’était pas capable d’intégrer ou de rejeter en conscience ce qui provient d’autres cultures. On pense aux pages alarmistes de Maurice Barrès dans “Les Déracinés” (1897), où cet anti-dreyfusard virulent, pour qui les juifs corrompaient la France, fondateur du journal La Cocarde, qui affirmait qu’Emile Zola n’était pas français, développe sa théorie du “Moi-national” “fondé sur le culte de la terre et des Morts, et entonne l’hymne de l’enracinement” (selon l’expression de l’historien Michel Winock).
Selon Renaud Camus, cet “économisme pur”, relayé par le patronat français et par des hommes politiques inconscients ou complices, nous a fait perdre le sens de “la patrie” et de “l’épaisseur des siècles”: il a dissous la mémoire de notre histoire et de notre littérature (Zola en fait-il partie?), diluant les individus dans une “Grande Déculturation”. C’est cette “hébétude” généralisée qui a permis aux élites corrompues et avides d’orchestrer sans résistance une véritable “colonisation de peuplement” du pays par l’immigration maghrébo-africaine. A la fin du texte, Renaud Camus affirme qu’en France “la proportion d’indigènes est encore assez haute parmi les personnes les plus âgées, mais elle va s’amenuisant spectaculairement à mesure qu’on descend dans l’échelle des âges. Tendanciellement (…), les nourrissons sont arabes ou noirs, et volontiers musulmans.” Ces nourrissons musulmans, bien sûr, naissent en criant “Allahou akbar”.
Anti-refugee sentiment. Parc Macdonald, Montreal, 11 April 2016. Cold, Indrid | Flickr.
QUE NOUS APPRENNENT LES ÉTUDES DÉMOGRAPHIQUES?
QUE NOUS APPRENNENT LES ÉTUDES DÉMOGRAPHIQUES?
Pour Renaud Camus, il est impossible que le peuple français cohabite avec des peuples “allogènes” non européens sans perdre son identité – une théorie similaire était en vogue au tout début du XXe siècle à propos des Italiens du Sud incultes, des Polonais alcooliques et des Portugais superstitieux venus en France, puis on parla de “l’invasion noire” avec l’arrivée d’habitants de nos colonies africaines. Il affirme encore qu’aux Etats-Unis, le pays du “melting-pot”, “où le changement de peuple est en cours comme chez nous”, la situation est telle que “les descendants des bâtisseurs de cette nation s’y trouvent désormais minoritaires.”
Le changement de peuple, la submersion des allogènes... Toutes ces affirmations sont-elles sourcées, appuyées sur des études concrètes. Sont-elles de pures allégations? Une réaction effrayée face à l’existence de quartiers immigrés? Faut-il vraiment craindre “le melting-pot” à l’américaine dans cette France située au bout de l’Europe, où tant d’autres peuples ont fini leur route? Qu’en disent les études démographiques fouillées et précises?
Publiée en octobre 2012, le rapport “Insee Référence – Immigrés et descendants d’immigrés en France” décompte 5,3 millions de personnes “nées étrangères dans un pays étranger”, soit 8% de la population française. Parmi ces immigrés qui ont contribué à reconstruire la France d’après-guerre, 1,8 million viennent de l’Union européenne. Restent donc 3,5 millions de personnes, dont 3,3 millions sont originaires du Maghreb, d’Afrique subsaharienne et d’Asie – parmi lesquels des naturalisés français.
Ces immigrés venus du Sud qui font si peur aux théoriciens du “grand remplacement” représentent donc 5% de la population française – 65 millions. Difficile de parler, comme le fait Renaud Camus, d’une submersion ou d’une “contre-colonisation” par les étrangers non européens. Rappelons en passant que la colonisation française du Maghreb, surtout de l’Algérie, a été beaucoup plus brutale et plus intrusive…
Si on élargit la notion d’immigré et que l’on prend en compte l’ensemble des descendants de ces migrants – bien qu’ils soient tous nés en France, parlent Français, vont à l’école en France, etc –, on trouve le chiffre de 6,7 millions. Parmi eux, 3,1 millions descendent de migrants venus du Maghreb francophone, d’Afrique et d’Asie. Comment pourraient-ils submerger la population française tout eentière? On en vient à se demander si ce n’est pas tant le “remplacement” générationnel classique qui effraie tant Renaud Camus, que la seule présence de ces 5%… de non-blancs…
Malgré ces statistiques, les défenseurs de la théorie du “changement de peuple” n’en démordent pas. Un texte manifeste truffé de chiffres surévalues circule ainsi sur la blogosphère d’extrême droite. Intitulé “Le grand remplacement par A + B”, il additionne les immigrés venus du Maghreb, d’Afrique subsaharienne et d’Asie et leurs descendants, soit plus de 6 millions de personnes. Il y ajoute à la louche “3 à 4 millions” de descendants appartenant à la troisième génération d’immigrés, sans préciser la source de cette information. Il y adjoint enfin, pêle-mêle, des Français et des étrangers qu’il considère comme des “allochtones extra-européens”: 800.000 Roms, 500.000 harkis, 800.000 Antillais, entre 400.000 et 800.000 “immigrés clandestins”, 80.000 “migrants illégaux” et 160.000 à 195.000 naturalisés annuels…
Nous voilà, selon ce texte, avec 12 à 14 millions de “non-Blancs” – soit environ 20% de la population. Une projection effrayée conclut ce manifeste: puisque l’on “sait”, affirme-t-il, que la “vieille population blanche meurt plus et se reproduit trop peu pour se renouveler”, qu’elle s’exile “par millions”(!) et que la fécondité “afro-maghrébine” est plus élevée que la fécondité des “Français de souche”, nul besoin “d’être un sombre pessimiste paranoïaque pour y voir un remplacement rapide de la population”. Quod erat demonstrandum.
Pour Renaud Camus, il est impossible que le peuple français cohabite avec des peuples “allogènes” non européens sans perdre son identité – une théorie similaire était en vogue au tout début du XXe siècle à propos des Italiens du Sud incultes, des Polonais alcooliques et des Portugais superstitieux venus en France, puis on parla de “l’invasion noire” avec l’arrivée d’habitants de nos colonies africaines. Il affirme encore qu’aux Etats-Unis, le pays du “melting-pot”, “où le changement de peuple est en cours comme chez nous”, la situation est telle que “les descendants des bâtisseurs de cette nation s’y trouvent désormais minoritaires.”
Le changement de peuple, la submersion des allogènes... Toutes ces affirmations sont-elles sourcées, appuyées sur des études concrètes. Sont-elles de pures allégations? Une réaction effrayée face à l’existence de quartiers immigrés? Faut-il vraiment craindre “le melting-pot” à l’américaine dans cette France située au bout de l’Europe, où tant d’autres peuples ont fini leur route? Qu’en disent les études démographiques fouillées et précises?
Publiée en octobre 2012, le rapport “Insee Référence – Immigrés et descendants d’immigrés en France” décompte 5,3 millions de personnes “nées étrangères dans un pays étranger”, soit 8% de la population française. Parmi ces immigrés qui ont contribué à reconstruire la France d’après-guerre, 1,8 million viennent de l’Union européenne. Restent donc 3,5 millions de personnes, dont 3,3 millions sont originaires du Maghreb, d’Afrique subsaharienne et d’Asie – parmi lesquels des naturalisés français.
Ces immigrés venus du Sud qui font si peur aux théoriciens du “grand remplacement” représentent donc 5% de la population française – 65 millions. Difficile de parler, comme le fait Renaud Camus, d’une submersion ou d’une “contre-colonisation” par les étrangers non européens. Rappelons en passant que la colonisation française du Maghreb, surtout de l’Algérie, a été beaucoup plus brutale et plus intrusive…
Si on élargit la notion d’immigré et que l’on prend en compte l’ensemble des descendants de ces migrants – bien qu’ils soient tous nés en France, parlent Français, vont à l’école en France, etc –, on trouve le chiffre de 6,7 millions. Parmi eux, 3,1 millions descendent de migrants venus du Maghreb francophone, d’Afrique et d’Asie. Comment pourraient-ils submerger la population française tout eentière? On en vient à se demander si ce n’est pas tant le “remplacement” générationnel classique qui effraie tant Renaud Camus, que la seule présence de ces 5%… de non-blancs…
Malgré ces statistiques, les défenseurs de la théorie du “changement de peuple” n’en démordent pas. Un texte manifeste truffé de chiffres surévalues circule ainsi sur la blogosphère d’extrême droite. Intitulé “Le grand remplacement par A + B”, il additionne les immigrés venus du Maghreb, d’Afrique subsaharienne et d’Asie et leurs descendants, soit plus de 6 millions de personnes. Il y ajoute à la louche “3 à 4 millions” de descendants appartenant à la troisième génération d’immigrés, sans préciser la source de cette information. Il y adjoint enfin, pêle-mêle, des Français et des étrangers qu’il considère comme des “allochtones extra-européens”: 800.000 Roms, 500.000 harkis, 800.000 Antillais, entre 400.000 et 800.000 “immigrés clandestins”, 80.000 “migrants illégaux” et 160.000 à 195.000 naturalisés annuels…
Nous voilà, selon ce texte, avec 12 à 14 millions de “non-Blancs” – soit environ 20% de la population. Une projection effrayée conclut ce manifeste: puisque l’on “sait”, affirme-t-il, que la “vieille population blanche meurt plus et se reproduit trop peu pour se renouveler”, qu’elle s’exile “par millions”(!) et que la fécondité “afro-maghrébine” est plus élevée que la fécondité des “Français de souche”, nul besoin “d’être un sombre pessimiste paranoïaque pour y voir un remplacement rapide de la population”. Quod erat demonstrandum.
QU’EST-CE QU’UN “FRANÇAIS D’ORIGINE?”
QU’EST-CE QU’UN “FRANÇAIS D’ORIGINE?”
La plupart des chiffres cités par ce texte sont totalement fantaisistes. La population des Roms n’approche pas du million: elle est estimée à 20.000 par le ministère du logement. Il n’y a pas 160.000 à 195.000 naturalisés annuels: il y en a eu 94.000 en 2010, 66.000 en 2011 et 46.000 en 2012, soit environ moitié moins. Quant aux clandestins, ils sont évidemment difficiles à recenser.
Mais plus que les chiffres, c’est la démarche intellectuelle même des alarmistes du “grand remplacement” qui pose problème. Pour Pascale Breuil, chef d’unité des études démographiques et sociales de l’Insee, opposer les “allogènes” – les nés ailleurs – aux “indigènes” – les “blancs” de souche – s’avère une opération délicate, pour ne pas dire difficile. Qui est véritablement “allogène”, né ailleurs (et non européen bien sûr)? Les enfants des immigrés vivant en France, des Français éduqués en France, sont-ils “allogènes?” D’autant que “chez les descendants d’immigrés, rappelle Pascale Breuil, beaucoup ont un seul parent immigré: ils sont issus de couples mixtes. Devenus parents, ils parlent français avec leurs enfants à 99%, et 64% de ceux qui vivent en couple ont un conjoint qui n’est ni immigré ni descendant d’immigré. Comment définir alors une population “allogène?” Et comment affirmer que les descendants de ces couples mixtes, eux aussi souvent mariés à des Européens, parlant tous français, sont toujours des “allogènes?”
La chef d’unité des études démographiques s’interroge aussi sur la notion même de “substitution de peuple”. “Jusqu’où faut-il remonter pour être considéré faisant partie du peuple français de souche? demande-t-elle. Doit-on écarter l’immigration de travail remontant à la fin du XIXe siècle, avec l’arrivée de nombreux Italiens, Belges, Suisses, Polonais et Allemands, qui ne se sont pas tous mariés entre eux et qui ont eu des enfants avec des Français? Ou écarter encore les migrations venues d’Europe du Sud et d’Afrique depuis le début du XXe siècle, sans oublier les naturalisés et les réfugiés? Il est finalement très difficile de définir qui est ou non d’origine française.” En fait, comme l’ont bien montré les historiens de l’immigration Patrick Weil ou Gérard Noiriel, il existe un “creuset français”: depuis la fin du XIXe siècle, les différentes vagues d’immigration se sont mêlées à la population française, même quand elles ont d’abord été ostracisées, que ce soit pour leur “inculture” et leurs “superstitions” – les Italiens, les Portugais, longtemps considérés “inassimilables” (relisez Cavanna) –, ou leur religion: les Polonais étaient accusés d’être des “fanatiques”.
Découvrant le texte “Le grand remplacement par A + B”, François Héran, directeur de recherche à l’Institut national d’études démographiques (INED), constate qu’il s’agit en fait, dans l’esprit des rédacteurs, de “convertir les origines nationales en données raciales”. “La cible devient les “non-Blancs”, explique-t-il. C’est juste un banal racisme (auquel s’ajoute l’inquiétude face à l’islam toujours vu comme un islamisme). Quant aux extrapolations sur le remplacement généralisé de Renaud Camus, Héran les décrit comme des “billevesées!”.
Le démographe rappelle que la croissance de la population française depuis la guerre (20 millions d’habitants) n’est évidemment pas du tout entièrement due à l’immigration. “Le baby-boom de l’après-guerre, avec 2,6 à 3 enfants par femme, a joué pour un bon tiers et continue à exercer des effets à long terme. Le deuxième tiers provient de l’allongement de l’espérance de vie, qui fait coexister plus de générations. Le troisième tiers vient de l’immigration qui, n’oublions pas, n’est pas entièrement extra-européenne.”
La plupart des chiffres cités par ce texte sont totalement fantaisistes. La population des Roms n’approche pas du million: elle est estimée à 20.000 par le ministère du logement. Il n’y a pas 160.000 à 195.000 naturalisés annuels: il y en a eu 94.000 en 2010, 66.000 en 2011 et 46.000 en 2012, soit environ moitié moins. Quant aux clandestins, ils sont évidemment difficiles à recenser.
Mais plus que les chiffres, c’est la démarche intellectuelle même des alarmistes du “grand remplacement” qui pose problème. Pour Pascale Breuil, chef d’unité des études démographiques et sociales de l’Insee, opposer les “allogènes” – les nés ailleurs – aux “indigènes” – les “blancs” de souche – s’avère une opération délicate, pour ne pas dire difficile. Qui est véritablement “allogène”, né ailleurs (et non européen bien sûr)? Les enfants des immigrés vivant en France, des Français éduqués en France, sont-ils “allogènes?” D’autant que “chez les descendants d’immigrés, rappelle Pascale Breuil, beaucoup ont un seul parent immigré: ils sont issus de couples mixtes. Devenus parents, ils parlent français avec leurs enfants à 99%, et 64% de ceux qui vivent en couple ont un conjoint qui n’est ni immigré ni descendant d’immigré. Comment définir alors une population “allogène?” Et comment affirmer que les descendants de ces couples mixtes, eux aussi souvent mariés à des Européens, parlant tous français, sont toujours des “allogènes?”
La chef d’unité des études démographiques s’interroge aussi sur la notion même de “substitution de peuple”. “Jusqu’où faut-il remonter pour être considéré faisant partie du peuple français de souche? demande-t-elle. Doit-on écarter l’immigration de travail remontant à la fin du XIXe siècle, avec l’arrivée de nombreux Italiens, Belges, Suisses, Polonais et Allemands, qui ne se sont pas tous mariés entre eux et qui ont eu des enfants avec des Français? Ou écarter encore les migrations venues d’Europe du Sud et d’Afrique depuis le début du XXe siècle, sans oublier les naturalisés et les réfugiés? Il est finalement très difficile de définir qui est ou non d’origine française.” En fait, comme l’ont bien montré les historiens de l’immigration Patrick Weil ou Gérard Noiriel, il existe un “creuset français”: depuis la fin du XIXe siècle, les différentes vagues d’immigration se sont mêlées à la population française, même quand elles ont d’abord été ostracisées, que ce soit pour leur “inculture” et leurs “superstitions” – les Italiens, les Portugais, longtemps considérés “inassimilables” (relisez Cavanna) –, ou leur religion: les Polonais étaient accusés d’être des “fanatiques”.
Découvrant le texte “Le grand remplacement par A + B”, François Héran, directeur de recherche à l’Institut national d’études démographiques (INED), constate qu’il s’agit en fait, dans l’esprit des rédacteurs, de “convertir les origines nationales en données raciales”. “La cible devient les “non-Blancs”, explique-t-il. C’est juste un banal racisme (auquel s’ajoute l’inquiétude face à l’islam toujours vu comme un islamisme). Quant aux extrapolations sur le remplacement généralisé de Renaud Camus, Héran les décrit comme des “billevesées!”.
Le démographe rappelle que la croissance de la population française depuis la guerre (20 millions d’habitants) n’est évidemment pas du tout entièrement due à l’immigration. “Le baby-boom de l’après-guerre, avec 2,6 à 3 enfants par femme, a joué pour un bon tiers et continue à exercer des effets à long terme. Le deuxième tiers provient de l’allongement de l’espérance de vie, qui fait coexister plus de générations. Le troisième tiers vient de l’immigration qui, n’oublions pas, n’est pas entièrement extra-européenne.”
QUI EST UN “PUR BLANC”?
QUI EST UN “PUR BLANC”?
Le démographe Hervé Le Bras, auteur du Démon des origines (L’Aube, 1998), voit dans le “grand remplacement” une “sinistre farce” qui dure depuis des dizaines d’années. Il rappelle que le 26 octobre 1985 déjà, le Figaro Magazine faisait sa Une avec une Marianne voilée d’un hijab, titrant: “Serions-nous encore Français dans 30 ans?” Or, 30 ans ont passé, il y a 4,5 millions de musulmans en France (2,1 millions de pratiquants réguliers d’après l’Ined, dont 15.000 salafistes piétistes). “Parler d’“immigré de seconde ou troisième génération”, explique le démographe, est une contradiction dans les termes. Ils ne migrent plus, ils sont Français. On les désigne comme une espèce de “cinquième colonne”, comme s’il s’agissait d’ennemis intérieurs.” Ici encore, le racisme perdure. Redoublé par la question de l’islam, aiguisée par les attentats.
Pour le démographe, le fait de considérer les descendants d’immigrés nés de mariages mixtes comme des “allogènes extra-européens” relève d’une “théorie raciste extrême”. “Les rédacteurs de ce texte pensent que si une personne a un ancêtre arabe, elle reste arabe. C’était le principe de la “one drop rule” américaine pendant la période de la Ségrégation: une seule goutte de sang noir vous définissait comme noir et donc comme inférieur. C’était pareil pour les juifs pendant l’Occupation… Ajoutons qu’aux Etats-Unis les arabes sont considérés comme “Blancs”!
Il ajoute que l’analyse selon laquelle les “blancs” sont désormais minoritaires aux Etats-Unis, ce qui préfigurerait le “Grand remplacement” à venir en France, lui semble défectueuse: “Ces chiffres américains se basent sur les enfants des mères “uniquement blanches”. Dés qu’on considère comme “blanc” des enfants dont un seul parent est “blanc”, on arrive à 81% de blancs américains.” Conclusion de Hervé Le Bras, la théorie du grand remplacement n’est que la continuation de la peur irraisonnée du métissage: “Le métissage augmente partout dans le monde, il est la meilleure réponse aux classifications raciales et racistes dont il brouille irrémédiablement les frontières.”
Le démographe Hervé Le Bras, auteur du Démon des origines (L’Aube, 1998), voit dans le “grand remplacement” une “sinistre farce” qui dure depuis des dizaines d’années. Il rappelle que le 26 octobre 1985 déjà, le Figaro Magazine faisait sa Une avec une Marianne voilée d’un hijab, titrant: “Serions-nous encore Français dans 30 ans?” Or, 30 ans ont passé, il y a 4,5 millions de musulmans en France (2,1 millions de pratiquants réguliers d’après l’Ined, dont 15.000 salafistes piétistes). “Parler d’“immigré de seconde ou troisième génération”, explique le démographe, est une contradiction dans les termes. Ils ne migrent plus, ils sont Français. On les désigne comme une espèce de “cinquième colonne”, comme s’il s’agissait d’ennemis intérieurs.” Ici encore, le racisme perdure. Redoublé par la question de l’islam, aiguisée par les attentats.
Pour le démographe, le fait de considérer les descendants d’immigrés nés de mariages mixtes comme des “allogènes extra-européens” relève d’une “théorie raciste extrême”. “Les rédacteurs de ce texte pensent que si une personne a un ancêtre arabe, elle reste arabe. C’était le principe de la “one drop rule” américaine pendant la période de la Ségrégation: une seule goutte de sang noir vous définissait comme noir et donc comme inférieur. C’était pareil pour les juifs pendant l’Occupation… Ajoutons qu’aux Etats-Unis les arabes sont considérés comme “Blancs”!
Il ajoute que l’analyse selon laquelle les “blancs” sont désormais minoritaires aux Etats-Unis, ce qui préfigurerait le “Grand remplacement” à venir en France, lui semble défectueuse: “Ces chiffres américains se basent sur les enfants des mères “uniquement blanches”. Dés qu’on considère comme “blanc” des enfants dont un seul parent est “blanc”, on arrive à 81% de blancs américains.” Conclusion de Hervé Le Bras, la théorie du grand remplacement n’est que la continuation de la peur irraisonnée du métissage: “Le métissage augmente partout dans le monde, il est la meilleure réponse aux classifications raciales et racistes dont il brouille irrémédiablement les frontières.”
Au Pont du Carrousel à Paris, Brahim Bouarram, 29 ans, profitait seulement d’une journée ensoleillée, il ne savait pas que des mains criminelles allaient le précipiter dans la Seine et mettre fin à ses jours. Les auteurs venaient de quitter le défilé du Front national. C’était le 1er mai 1995. Claude Richard | Flickr.
EN 1905 DÉJÀ PARAISSAIT “L’INVASION NOIRE”
EN 1905 DÉJÀ PARAISSAIT “L’INVASION NOIRE”
Comment réagissent les historiens de l’immigration au “grand remplacement”? Pour Gérard Noiriel, auteur du Creuset français (Seuil, 1988), un des livres de référence sur l’immigration, ces textes outranciers prophétisant la destruction de la “race” et de la “civilisation” françaises existent depuis la fin du XIXe siècle. Avant-guerre, en France comme en Allemagne, les nationalistes qui ont mené l’Europe au désastre affirmaient que les juifs, les Arméniens et les “Levantins” menaçaient l’intégrité de la patrie. Après-guerre, ce furent les Maghrébins. “A partir des années 1960, constate Gérard Noiriel, les arguments culturels et religieux ont remplacé les arguments biologiques, mais le discours du déclin national par leur faute demeure. Pourtant, dans aucun pays d’immigration les prédictions catastrophistes de remplacement global par l’invasion des nouveaux venus ne se sont concrétisées.”
De son côté, Nicolas Bancel, coauteur de La République coloniale (Hachette, 2006), avance que “la théorie d’un «grand remplacement” et d’un “changement de peuple”, “très anxiogène”, suppose qu’une population blanche, stable, constituerait le “socle biologique” de la France, et que ce socle serait en voie d’être corrompu, voire détruit. Ce type d’angoisses ne date pas d’aujourd’hui. Avec l’ouverture coloniale et les premières grandes vagues d’immigration, l’activation d’un sentiment de “submersion” est récurrente. Que l’on pense aux ouvrages du capitaine Danrit (L’Invasion noire, publié en 1895, puis L’Invasion jaune, en 1905), aux campagnes de presse anti-immigrés dans les années 1890, et lors de la grand crise économique des années 1930, celles-ci portant spécifiquement sur les nord-africains.”
Pour l’historien, le thème de “l’invasion” fut utilisé dès la fin des années 1970 par le Front national, qui en fit l’un de ses credo, repris plus ou moins ouvertement par une partie des élites politiques, majoritairement à droite. “Dans le contexte de crise sociale et politique actuelle, poursuit Nicolas Bancel, les vieilles idées de l’extrême droite ont irradié dans le champ intellectuel, puisque de nombreux analystes brodent sur le thème de la submersion biologique (Renaud Camus) ou culturelle (Alain Finkielkraut). On voit se dessiner un inquiétant imaginaire de purification de la société de ses éléments “allogènes” supposés à l’origine de la dilution biologique et culturelle de la nation.”
Comment réagissent les historiens de l’immigration au “grand remplacement”? Pour Gérard Noiriel, auteur du Creuset français (Seuil, 1988), un des livres de référence sur l’immigration, ces textes outranciers prophétisant la destruction de la “race” et de la “civilisation” françaises existent depuis la fin du XIXe siècle. Avant-guerre, en France comme en Allemagne, les nationalistes qui ont mené l’Europe au désastre affirmaient que les juifs, les Arméniens et les “Levantins” menaçaient l’intégrité de la patrie. Après-guerre, ce furent les Maghrébins. “A partir des années 1960, constate Gérard Noiriel, les arguments culturels et religieux ont remplacé les arguments biologiques, mais le discours du déclin national par leur faute demeure. Pourtant, dans aucun pays d’immigration les prédictions catastrophistes de remplacement global par l’invasion des nouveaux venus ne se sont concrétisées.”
De son côté, Nicolas Bancel, coauteur de La République coloniale (Hachette, 2006), avance que “la théorie d’un «grand remplacement” et d’un “changement de peuple”, “très anxiogène”, suppose qu’une population blanche, stable, constituerait le “socle biologique” de la France, et que ce socle serait en voie d’être corrompu, voire détruit. Ce type d’angoisses ne date pas d’aujourd’hui. Avec l’ouverture coloniale et les premières grandes vagues d’immigration, l’activation d’un sentiment de “submersion” est récurrente. Que l’on pense aux ouvrages du capitaine Danrit (L’Invasion noire, publié en 1895, puis L’Invasion jaune, en 1905), aux campagnes de presse anti-immigrés dans les années 1890, et lors de la grand crise économique des années 1930, celles-ci portant spécifiquement sur les nord-africains.”
Pour l’historien, le thème de “l’invasion” fut utilisé dès la fin des années 1970 par le Front national, qui en fit l’un de ses credo, repris plus ou moins ouvertement par une partie des élites politiques, majoritairement à droite. “Dans le contexte de crise sociale et politique actuelle, poursuit Nicolas Bancel, les vieilles idées de l’extrême droite ont irradié dans le champ intellectuel, puisque de nombreux analystes brodent sur le thème de la submersion biologique (Renaud Camus) ou culturelle (Alain Finkielkraut). On voit se dessiner un inquiétant imaginaire de purification de la société de ses éléments “allogènes” supposés à l’origine de la dilution biologique et culturelle de la nation.”
“Tu es chez toi”, Belleville 2015. Ittmust | Flickr.
LA QUESTION DES “QUARTIERS IMMIGRÉS”
LA QUESTION DES “QUARTIERS IMMIGRÉS”
Pour le sociodémographe, Patrick Simon, qui a beaucoup étudié l’histoire de Belleville à Paris, “quartier immigré” célèbre, il ne faut pas oublier que la France a toujours connu des enclaves d’immigration qui effrayaient certains habitants: “C’est vrai qu’à Belleville les immigrés ont peu à peu remplacé les Français, tout comme dans des zones de Paris, Marseille Nord, Roubaix, Lyon ou Lille. Mais parler de “grand remplacement”, c’est sous-entendre une sorte de conspiration globale. En fait, ces quartiers ont d’abord été abandonnés du fait qu’ils se dégradaient. Les immigrés sont venus, attirés par les loyers bas. Peu à peu, ils ont ouvert des commerces, des épiceries, des restaurants, et ils sont devenus visibles.”
A Belleville, ce furent d’abord des juifs, des Arabes, des Arméniens, des Grecs. Les Français pauvres, devenus minoritaires, ont commencé à dire: “Nous ne sommes plus chez nous”, “Nous sommes envahis”. “Ils ont été obligés de cohabiter, poursuit Patrick Simon, même si certains le vivaient mal.” En même temps, rappelle-t-il, “à Belleville, cette cohabitation s’est faite bon an mal an, il y a eu des tensions, des apaisements, le quartier est devenu cosmopolite, des jeunes Français sans argent se sont installés qui l’acceptaient beaucoup mieux.”
Depuis 150 ans, rappelle le démographe, il y a toujours eu des quartiers immigrés en France: Italiens dans le Sud, Polonais dans le Nord, Maghrébins en Ile-de-France et dans le midi, Chinois à Paris. “Ces mouvements de populations suivent d’abord la loi du marché immobilier. C’est un classique de l’histoire urbaine” rappelle Simon. Pour lui, seule “une politique ambitieuse de la ville” dans les quartiers en déshérence évitera le sentiment d’abandon de ceux qui y vivent et qui voient des populations pauvres, porteuses d’autres cultures et d’autres religions, s’y installer. A l’entendre, l’instrumentalisation politique de ces quartiers est dangereuse. “En associant immigrés et remplacement, on désigne les Français de l’immigration comme des envahisseurs. Cela fait que partout où ils vivent, même quand ils sont minoritaires, on les désigne comme un danger potentiel. C’est la responsabilité des politiques de dire qu’ils sont Français, et, surtout de leur permettre de s’intégrer.”
Faute d’une véritable politique d’intégration et de formation, de programmes d’aide sociale et d’insertion, à laisser courir les difficultés de trouver du travail et un logement pour les enfants d’immigrés, le risque existe que certaines enclaves se transforment durablement en “territoires perdus de la République”: des zones urbaines abandonnées par l’Etat, où la police de proximité des années Mitterrand a été dissoute, de plus en plus divisées par des affrontements communautaires, où l’islamisme radical fait des adeptes, allant jusqu’à remettre en cause la laïcité à l’école et la diversité des moeurs dans la rue, comme l’a révélé en 2002 l’ouvrage éponyme – longtemps sous-estimé – d’un groupe de professeurs de gauche travaillant en Seine Saint-Denis…
Conclusion de Patrick Simon: “cessons de hurler contre le grand remplacement au risque d’ostraciser les enfants de l’immigration, mais promouvons une politique volontariste de la ville facilitant l’emploi, la vie des collectivités, les salles de sport, le dialogue interculturel, l’intégration plutôt que le repli communautaire et religieux…” ■
Pour le sociodémographe, Patrick Simon, qui a beaucoup étudié l’histoire de Belleville à Paris, “quartier immigré” célèbre, il ne faut pas oublier que la France a toujours connu des enclaves d’immigration qui effrayaient certains habitants: “C’est vrai qu’à Belleville les immigrés ont peu à peu remplacé les Français, tout comme dans des zones de Paris, Marseille Nord, Roubaix, Lyon ou Lille. Mais parler de “grand remplacement”, c’est sous-entendre une sorte de conspiration globale. En fait, ces quartiers ont d’abord été abandonnés du fait qu’ils se dégradaient. Les immigrés sont venus, attirés par les loyers bas. Peu à peu, ils ont ouvert des commerces, des épiceries, des restaurants, et ils sont devenus visibles.”
A Belleville, ce furent d’abord des juifs, des Arabes, des Arméniens, des Grecs. Les Français pauvres, devenus minoritaires, ont commencé à dire: “Nous ne sommes plus chez nous”, “Nous sommes envahis”. “Ils ont été obligés de cohabiter, poursuit Patrick Simon, même si certains le vivaient mal.” En même temps, rappelle-t-il, “à Belleville, cette cohabitation s’est faite bon an mal an, il y a eu des tensions, des apaisements, le quartier est devenu cosmopolite, des jeunes Français sans argent se sont installés qui l’acceptaient beaucoup mieux.”
Depuis 150 ans, rappelle le démographe, il y a toujours eu des quartiers immigrés en France: Italiens dans le Sud, Polonais dans le Nord, Maghrébins en Ile-de-France et dans le midi, Chinois à Paris. “Ces mouvements de populations suivent d’abord la loi du marché immobilier. C’est un classique de l’histoire urbaine” rappelle Simon. Pour lui, seule “une politique ambitieuse de la ville” dans les quartiers en déshérence évitera le sentiment d’abandon de ceux qui y vivent et qui voient des populations pauvres, porteuses d’autres cultures et d’autres religions, s’y installer. A l’entendre, l’instrumentalisation politique de ces quartiers est dangereuse. “En associant immigrés et remplacement, on désigne les Français de l’immigration comme des envahisseurs. Cela fait que partout où ils vivent, même quand ils sont minoritaires, on les désigne comme un danger potentiel. C’est la responsabilité des politiques de dire qu’ils sont Français, et, surtout de leur permettre de s’intégrer.”
Faute d’une véritable politique d’intégration et de formation, de programmes d’aide sociale et d’insertion, à laisser courir les difficultés de trouver du travail et un logement pour les enfants d’immigrés, le risque existe que certaines enclaves se transforment durablement en “territoires perdus de la République”: des zones urbaines abandonnées par l’Etat, où la police de proximité des années Mitterrand a été dissoute, de plus en plus divisées par des affrontements communautaires, où l’islamisme radical fait des adeptes, allant jusqu’à remettre en cause la laïcité à l’école et la diversité des moeurs dans la rue, comme l’a révélé en 2002 l’ouvrage éponyme – longtemps sous-estimé – d’un groupe de professeurs de gauche travaillant en Seine Saint-Denis…
Conclusion de Patrick Simon: “cessons de hurler contre le grand remplacement au risque d’ostraciser les enfants de l’immigration, mais promouvons une politique volontariste de la ville facilitant l’emploi, la vie des collectivités, les salles de sport, le dialogue interculturel, l’intégration plutôt que le repli communautaire et religieux…” ■
POUR ALLER PLUS LOIN : Le Creuset français. Histoire de l’immigration, XIXE-XXE siècle, de Gérard Noiriel (Seuil, 1988, rééd. “Points Histoire”, 2006) – Le Démon des origines. Démographie et extrême droite, d’Hervé Le Bras (Editions de L’Aube, 1998) – Le Temps des immigrés. Essai sur le destin de la population française, de François Héran (Seuil, “La république des idées”, 2007) – Les territoires perdus de la République (collectif). Les Mille et Une nuits (2002).
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Frédéric Joignot, journaliste, romancier, essayiste. Dernier ouvrage: L’Art de la ruse (Tohu Bohu, 2018).
Blog invité du Monde: lemonde.fr/blog/fredericjoignot
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