Harriet Alexander
Harriet Alexander
© Marcus Kaufmann
Dans l’après-midi du 26 octobre, un samedi exceptionnellement chaud après une série de journées caniculaires, le vent s’est levé sur les Blue Mountains et la foudre a poignardé les plages. Un éclair est tombé près d’une piste d’atterrissage désaffectée à Gospers Mountain, une zone densément cultivée du parc national de Wollemi, qui s’est transformée en bois d’allumage. Il deviendra l’épicentre du plus grand incendie de forêt, à partir d’un point d’allumage unique, que l’Australie ait jamais connu.
Ken Mackett a observé un panache de fumée s’enrouler au-dessus de la ligne de crête depuis son domicile de Putty, à environ 30 kilomètres au nord-est du coup de foudre, avec un sentiment de malaise. Bénévole au Service des Incendies en milieu rural, il savait que le Service national des parcs et de la faune serait responsable de l’éteindre. Il savait également à quel point cette tâche serait difficile. Au fond des montagnes, dans un pays fracturé par des ruisseaux, des gouffres et des escarpements vertigineux, il est pratiquement inaccessible par voie terrestre, et la brousse n’a jamais été aussi fragile. Après dix ans de précipitations inférieures à la moyenne, le sol est devenu si sec que les eucalyptus se sont dégarnis et leurs feuilles se sont empilées comme un feu de joie géant attendant d’être allumé. À la fin de la journée, l’incendie s’est étendu sur une superficie de 521 hectares, et il n’y avait plus rien à voir que de la fumée dans les zones résidentielles entourant le parc. Une semaine s’est écoulée, puis une autre. “Le feu est resté là pendant très longtemps, explique Mackett. Et puis il a soudainement décidé de venir vers le sud-est.”
L’incendie de Gospers Mountain a maintenant détruit une zone sept fois plus grande que Singapour, plus de 444000 hectares de la frontière ouest des Blue Mountains à l’arrière-pays de la côte centrale, au nord jusqu’à la Hunter Valley, au sud jusqu’à Hawkesbury et au-delà de la Bells Line of Route. Il y a trois semaines, il s’est combiné avec plusieurs incendies pour former un vaste complexe qui a été surnommé “le méga feu.” Pour ceux qui vivent dans son ombre, il est connu comme “le monstre.”
Le 12 novembre, trois cent incendies ont frappé l’État, le jour où les chaleurs ont été jugées catastrophiques. Poussé par des vents et des températures fortes, la côte est était en flammes d’Illawarra à Taree et le mégafeu de la montagne s’est abattu sur la côte comme une bête en vacances. Vorace. Les villes de Mellong, St Albans et Upper MacDonald ont été évacuées. Le bénévole Ken Mackett protégeait plusieurs propriétés avec sa brigade lorsque le front du feu s’est approché. Il a entendu un rugissement qui rappellait le vent soufflant dans les arbres, puis a rugi de plus en plus fort. “Vous distinguez la limite des arbres à cent mètres devant vous, puis soudain, vous ne la voyez plus, raconte-t-il. C’est comme une grosse tempête noire qui vient, mais ce n’est pas un orage, c’est un feu! Les grands incendies créent leurs propres vents, ils créent leurs propres conditions météorologiques. Les flammes montent avec la fumée, elles sont en l’air, elles brûlent dans l’air! Un feu aérien flottait indépendamment du feu de surface.”
À la fin de la journée, l’incendie avait anéanti plus de 30 000 hectares et menacé dans toutes les directions. Lorsque le vent a soufflé de l’ouest, le feu a explosé à l’est. Quand il a soufflé du sud, il a basculé vers le nord, son chemin n’a été brouillé que par la complexité des vallées. “Les gens diront “C’est un bon changement de vent pour nous”, explique Sarah Hyde, une bénévole du Service des incendies du mont Irvine. Mais vous savez qu’un bon changement de vent pour nous est mauvais pour quelqu’un d’autre.”
15 novembre. Dans un quartier résidentiel près du front de feu, Kristi Bryant et ses deux enfants d’Upper Colo ont passé la journée réfugiées à la bibliothèque. Ils sont rentrés chez eux après l’arrivée du vent du sud dans l’après-midi. Mais quand il a de nouveau changé de direction quelques jours plus tard, elle a emmené sa famille dans la voiture laissant son mari derrière combattre les incendies. “Le pire, dit-elle, c’est l’attente. Nous savons qu’il arrive, mais nous ne savons pas quelle forme il prendra quand il arrivera. Sera-il lent? Est-ce qu’il va être extrême? Est-ce qu’il va donner un avertissement? Nous vivons à Upper Colo depuis près de 20 ans, et je n’ai jamais été en état d’alerte si longtemps, face à un feu si massif. C’est tellement énorme! J’ai tellement peur, le vent est si incontrôlable. Je n’ai jamais rien vu de tel!”
Le 16 novembre, l’incendie avait triplé de taille pour atteindre 90000 hectares et se propageait au sud vers Colo Heights, à l’ouest vers Glen Davis. Dans la vallée de Capertee, les trois brigades locales se sont préparées à l’avancée du feu en rasant au bulldozer un espace de brousse de 100 kilomètres au bas de l’escarpement, afin de réparer le stationnement des camions et des hélicoptères. Les cantons de Glen Davis, Glen Alice et Bogee sont situés au bas du rideau des collines de grès, et scrutant la falaise la nuit, leur crête enflammée était presque magnifique. “C’était comme si quelqu’un avait allumé des bougies tout au long de la vallée”, a fait remarquer un habitant.
Le 17 novembre, un avion-citerne a largué un ignifuge sur la vallée pour ralentir la progression de l’incendie vers l’ouest. Mais il a continué ses ravages. Sur le front sud, il a enlevé une maison à Colo Heights, s’est retiré puis est revenu trois jours plus tard pour en détruire plusieurs autres lors de sa première avancée menaçante en banlieue. Puis il a poussé vers l’est. Le 6 décembre, après avoir détruit 250.000 hectares, il s’est joint aux incendies de Little L et de Paddock Run au sud de Singleton, à l’incendie de Three Mile sur la côte centrale et à l’incendie de Thompson Creek dans le parc national Yengo pour former un front de 60 kilomètres de feu hors contrôle...
En cette mi-novembre, l’incendie de Gospers Mountain avait atteint un record australien pour un incendie allumé à partir d’un seul point d’allumage. “Il y a déjà eu de plus grands incendies de savane, mais c’est le plus grand incendie de forêt de l’histoire de l’Australie”, explique Ross Bradstock, directeur du Center for Environmental Risk Management of Bushfires de l’Université de Wollongong. Le mégafeu avait le double de la taille de l’incendie de Kilmore East qui a détruit 125000 hectares de brousse lors du «samedi noir» de Victoria en 2009. Il était nettement plus important que l’incendie de Woolsey en Californie en 2018 qui a dévoré 39.000 hectares ou que le Rim Fire de 2013 qui a brûlé 104.000 hectares dans la Stanislas National Forest californienne. Seuls les incendies de forêt boréale qui éclatent en Alaska, en Sibérie et au Canada, qui peuvent s’étendre à des millions d’hectares, ont été plus importants. “Nous vivons dans un environnement très différent du Canada où l’étendue des forêts au Canada est beaucoup plus grande qu’en Australie, poursuit Bradstock. Mais dans forêts des régions de latitude moyenne comme nous, ce feu dépasse tout ce que l’on ait jamais vu en Méditerranée. C’est un feu très destructeur*.”
Le 15 décembre, alors que l’incendie avait ravagé 350000 hectares, un nouveau démarrage de feu est devenu incontrôlable près du village de Mount Wilson, y a détruit plusieurs maisons ainsi qu’à Bilpin. Il se dirige maintenant vers la centrale à charbon de Mont Piper et la mine de Springvale, et mettra des mois à s’éteindre. L’ironie de la destruction de la centrale au charbon par un feu de brousse qui provient en partie d’un climat trop sec est résumée par Bradstock comme “l’ultime boucle de rétroaction du changement climatique.”
L’éléveur d’alpacas Wendy Williams, dont la propriété à Bogee dans la vallée de Capertee jouxte la frontière ouest du feu, estime que son progrès est inévitable. “Même chez moi, vous avez six pouces de feuilles d’eucalyptus sèche sous les pieds, explique Williams. Le temps est si sec que les arbres tombent et que vous avez des rangées et des rangées d’arbres qui alimentent le feu. La plus grande crainte est qu’une énorme boule de feu souffle dans l’escarpement du parc national puis dans la vallée.”
Ce qui est advenu... ■
––––––––
Harriet Alexander est reporter au Sydney Morning Herald.
Dans l’après-midi du 26 octobre, un samedi exceptionnellement chaud après une série de journées caniculaires, le vent s’est levé sur les Blue Mountains et la foudre a poignardé les plages. Un éclair est tombé près d’une piste d’atterrissage désaffectée à Gospers Mountain, une zone densément cultivée du parc national de Wollemi, qui s’est transformée en bois d’allumage. Il deviendra l’épicentre du plus grand incendie de forêt, à partir d’un point d’allumage unique, que l’Australie ait jamais connu.
Ken Mackett a observé un panache de fumée s’enrouler au-dessus de la ligne de crête depuis son domicile de Putty, à environ 30 kilomètres au nord-est du coup de foudre, avec un sentiment de malaise. Bénévole au Service des Incendies en milieu rural, il savait que le Service national des parcs et de la faune serait responsable de l’éteindre. Il savait également à quel point cette tâche serait difficile. Au fond des montagnes, dans un pays fracturé par des ruisseaux, des gouffres et des escarpements vertigineux, il est pratiquement inaccessible par voie terrestre, et la brousse n’a jamais été aussi fragile. Après dix ans de précipitations inférieures à la moyenne, le sol est devenu si sec que les eucalyptus se sont dégarnis et leurs feuilles se sont empilées comme un feu de joie géant attendant d’être allumé. À la fin de la journée, l’incendie s’est étendu sur une superficie de 521 hectares, et il n’y avait plus rien à voir que de la fumée dans les zones résidentielles entourant le parc. Une semaine s’est écoulée, puis une autre. “Le feu est resté là pendant très longtemps, explique Mackett. Et puis il a soudainement décidé de venir vers le sud-est.”
L’incendie de Gospers Mountain a maintenant détruit une zone sept fois plus grande que Singapour, plus de 444.000 hectares de la frontière ouest des Blue Mountains à l’arrière-pays de la côte centrale, au nord jusqu’à la Hunter Valley, au sud jusqu’à Hawkesbury et au-delà de la Bells Line of Route. Il y a trois semaines, il s’est combiné avec plusieurs incendies pour former un vaste complexe qui a été surnommé “le méga feu.” Pour ceux qui vivent dans son ombre, il est connu comme “le monstre.”
Le 12 novembre, trois cent incendies ont frappé l’État, le jour où les chaleurs ont été jugées catastrophiques. Poussé par des vents et des températures fortes, la côte est était en flammes d’Illawarra à Taree et le mégafeu de la montagne s’est abattu sur la côte comme une bête en vacances. Vorace. Les villes de Mellong, St Albans et Upper MacDonald ont été évacuées. Le bénévole Ken Mackett protégeait plusieurs propriétés avec sa brigade lorsque le front du feu s’est approché. Il a entendu un rugissement qui rappellait le vent soufflant dans les arbres, puis a rugi de plus en plus fort. “Vous distinguez la limite des arbres à cent mètres devant vous, puis soudain, vous ne la voyez plus, raconte-t-il. C’est comme une grosse tempête noire qui vient, mais ce n’est pas un orage, c’est un feu! Les grands incendies créent leurs propres vents, ils créent leurs propres conditions météorologiques. Les flammes montent avec la fumée, elles sont en l’air, elles brûlent dans l’air! Un feu aérien flottait indépendamment du feu de surface.”
À la fin de la journée, l’incendie avait anéanti plus de 30.000 hectares et menacé dans toutes les directions. Lorsque le vent a soufflé de l’ouest, le feu a explosé à l’est. Quand il a soufflé du sud, il a basculé vers le nord, son chemin n’a été brouillé que par la complexité des vallées. “Les gens diront “C’est un bon changement de vent pour nous”, explique Sarah Hyde, une bénévole du Service des incendies du mont Irvine. Mais vous savez qu’un bon changement de vent pour nous est mauvais pour quelqu’un d’autre.”
15 novembre. Dans un quartier résidentiel près du front de feu, Kristi Bryant et ses deux enfants d’Upper Colo ont passé la journée réfugiées à la bibliothèque. Ils sont rentrés chez eux après l’arrivée du vent du sud dans l’après-midi. Mais quand il a de nouveau changé de direction quelques jours plus tard, elle a emmené sa famille dans la voiture laissant son mari derrière combattre les incendies. “Le pire, dit-elle, c’est l’attente. Nous savons qu’il arrive, mais nous ne savons pas quelle forme il prendra quand il arrivera. Sera-il lent? Est-ce qu’il va être extrême? Est-ce qu’il va donner un avertissement? Nous vivons à Upper Colo depuis près de 20 ans, et je n’ai jamais été en état d’alerte si longtemps, face à un feu si massif. C’est tellement énorme! J’ai tellement peur, le vent est si incontrôlable. Je n’ai jamais rien vu de tel!”
Le 16 novembre, l’incendie avait triplé de taille pour atteindre 90.000 hectares et se propageait au sud vers Colo Heights, à l’ouest vers Glen Davis. Dans la vallée de Capertee, les trois brigades locales se sont préparées à l’avancée du feu en rasant au bulldozer un espace de brousse de 100 kilomètres au bas de l’escarpement, afin de réparer le stationnement des camions et des hélicoptères. Les cantons de Glen Davis, Glen Alice et Bogee sont situés au bas du rideau des collines de grès, et scrutant la falaise la nuit, leur crête enflammée était presque magnifique. “C’était comme si quelqu’un avait allumé des bougies tout au long de la vallée”, a fait remarquer un habitant.
Le 17 novembre, un avion-citerne a largué un ignifuge sur la vallée pour ralentir la progression de l’incendie vers l’ouest. Mais il a continué ses ravages. Sur le front sud, il a enlevé une maison à Colo Heights, s’est retiré puis est revenu trois jours plus tard pour en détruire plusieurs autres lors de sa première avancée menaçante en banlieue. Puis il a poussé vers l’est. Le 6 décembre, après avoir détruit 250.000 hectares, il s’est joint aux incendies de Little L et de Paddock Run au sud de Singleton, à l’incendie de Three Mile sur la côte centrale et à l’incendie de Thompson Creek dans le parc national Yengo pour former un front de 60 kilomètres de feu hors contrôle...
En cette mi-novembre, l’incendie de Gospers Mountain avait atteint un record australien pour un incendie allumé à partir d’un seul point d’allumage. “Il y a déjà eu de plus grands incendies de savane, mais c’est le plus grand incendie de forêt de l’histoire de l’Australie”, explique Ross Bradstock, directeur du Center for Environmental Risk Management of Bushfires de l’Université de Wollongong. Le mégafeu avait le double de la taille de l’incendie de Kilmore East qui a détruit 125000 hectares de brousse lors du «samedi noir» de Victoria en 2009. Il était nettement plus important que l’incendie de Woolsey en Californie en 2018 qui a dévoré 39.000 hectares ou que le Rim Fire de 2013 qui a brûlé 104.000 hectares dans la Stanislas National Forest californienne. Seuls les incendies de forêt boréale qui éclatent en Alaska, en Sibérie et au Canada, qui peuvent s’étendre à des millions d’hectares, ont été plus importants. “Nous vivons dans un environnement très différent du Canada où l’étendue des forêts au Canada est beaucoup plus grande qu’en Australie, poursuit Bradstock. Mais dans forêts des régions de latitude moyenne comme nous, ce feu dépasse tout ce que l’on ait jamais vu en Méditerranée. C’est un feu très destructeur*.”
Le 15 décembre, alors que l’incendie avait ravagé 350000 hectares, un nouveau démarrage de feu est devenu incontrôlable près du village de Mount Wilson, y a détruit plusieurs maisons ainsi qu’à Bilpin. Il se dirige maintenant vers la centrale à charbon de Mont Piper et la mine de Springvale, et mettra des mois à s’éteindre. L’ironie de la destruction de la centrale au charbon par un feu de brousse qui provient en partie d’un climat trop sec est résumée par Bradstock comme “l’ultime boucle de rétroaction du changement climatique.”
L’éléveur d’alpacas Wendy Williams, dont la propriété à Bogee dans la vallée de Capertee jouxte la frontière ouest du feu, estime que son progrès est inévitable. “Même chez moi, vous avez six pouces de feuilles d’eucalyptus sèche sous les pieds, explique Williams. Le temps est si sec que les arbres tombent et que vous avez des rangées et des rangées d’arbres qui alimentent le feu. La plus grande crainte est qu’une énorme boule de feu souffle dans l’escarpement du parc national puis dans la vallée.”
Ce qui est advenu... ■
––––––––
Harriet Alexander est reporter au Sydney Morning Herald.
*L’enflammement général australien s’explique pour beaucoup par les hautes températures et la sécheresse record que connait l’île-continent depuis 20 ans du fait du réchauffement climatique, qui ont transformé la végétation en bois d’allumage pour les futurs brasiers, comme l’a établi un rapport de l’Australian Institute de décembre 2006 Heating Up: bushfires and climate change.
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